Champignons du Rwanda et du Burundi

Introduction

Préambule lexical et culturels relatif aux champignons

Les champignons sont appelés « ibihumyo » (sing. igihumyo) en kirundi et en kinyarwanda.

Champignons comestibles et non comestibles

Les langues rwandaise et burundaise intègrent l’opposition que l’on retrouve dans de nombreuses cultures entre l’utile et l’inutile. Dans le registre mycologique cette opposition distingue les champignons comestibles et non comestibles.

Au Rwanda, pour parler des champignons comestibles on peut préciser qu’il s’agit de « Ibihumyo kiribwa » par opposition à « Ibihumyo bitaribwa » : champignons non comestibles. Le verbe « guhumya », signifiant récolter des champignons est formé sur le même radical [hum]. On utilise aussi le verbe « gusarura ».

En kirundi, « Ubwoba » est le nom le plus souvent utilisé pour désigner les champignons comestibles; ce terme qu’on retrouve au Rwanda sous la forme « icyoba » au Rwanda, est proche des termes similaires « Bowa » au Malawi, « Mbowa », « Ubuoba » ou « Uhwa » en Zambie et « Ubuyoga » au Zaïre et en Tanzanie, tous utilisés pour indiquer l’ensemble des champignons comestibles.

Pour parler des champignons comestibles, les Burundais utilisent aussi parfois le mot « Ikizunu » (pl. ibizunu) qui est initialement le nom spécifique de Termitomyces robustus. Ce dernier est probablement l’espèce la plus appréciée dans une grande partie d’Afrique centrale où on la trouve en abondance. Au Nigeria la première espèce qui vient à l’esprit chez un paysan, lorsqu’on parle de champignons comestibles, est aussi le Termitomyces robustus.

Termitomyces robustus

Stades de croissance des champignons

Au Rwanda divers noms qualifient les stades de croissance des champignons. On trouve ainsi les termes distinctifs suivants :

- « Umututu » : jeune champignon (ou plante) qui sort juste de terre
- « Igikongoro » : champignon non encore épanoui
- « Ikigara » / « igitaratara » / « igitarataro » / « igitarotaro » : champignon épanoui (Ikigara peut aussi désigner le chapeau d’un champignon). En parlant de champignon, le verbe « gutaratara » signifie « s’épanouir ».

Taxonomie locale

Les noms rwandais et burundais donnés aux champignons se réfèrent à leur forme, leur odeur, leur consistance, leurs propriétés.

Certains noms expriment des caractéristiques singulières des champignons. Ainsi, en kinyarwanda, le nom « Inderenganzira », qui signifie littéralement « qui franchit le chemin », désigne une espèce de petit champignon brun comestible qui pousse des deux côtés des chemins.

D’autres expriment des mises en garde lorsqu’il s’agit de champignons non comestibles toxiques. C’est par exemple le cas du nom kinyarwanda Nsubizahumvanye : « Ramène-moi où tu m’a trouvé » et du nom kirundi « Nsubiziyunkuye » : « Remets-moi à ma place » donné aux variétés toxiques d’Agaricus.

Agaricus hondensis

Agaricus hondensis fait partie des champignons appelés « Nsubiziyunkuye » : « Remets-moi à ma place ». Son ingestion provoque de graves troubles gastro-intestinaux.

Bart Buyck note qu’au Burundi plusieurs espèces sont désignées par un même nom qui basé sur un caractère commun, comme la coloration dans le cas des Cantharellus, lorsque leur séparation semble inutile.

Lorsqu’il existe une certaine ressemblance entre des organismes considérés utiles et inutiles, les Burundais appellent les derniers « cousins » : « umubyara » des premiers. Ainsi, Manihot glaziovii ou « igipirapira », variété non comestible, est l’umubyara du manioc comestible, Manihot esculenta ou Umwumbati. Lorsqu’une confusion est possible entre champignons comestibles et toxiques, on parle également de champignons « cousins-ababyara ».

Beaucoup de noms vernaculaires des champignons sont spécifiques quand quelques autres regroupent diverses espèces de champignons. Pour Nzigidahera Benoît, auteur d’une étude sur « les ressources biologiques et l’état des connaissances traditionnelles au Burundi, « Ces groupes suivent extraordinairement la classification moderne et sont rangés dans des unités taxonomiques connues : ordre, genre voire même des sous-sections ».

La connaissance des champignons au Burundi est aussi à l’origine de créations lexicales. « Des noms différents semblent exister pour la majorité des espèces, explique Bart Buick, ce qui montre que femmes et enfants sont capables de les distinguer (l’opinion des hommes n’a guère de valeur, car ils ne sont pas les récolteurs de champignons, et, lorsqu’on leur demande des noms, ils vont les citer avec une imagination égale au pourboire promis). »

Lexique de la récolte

Il existe aussi un langage de la récolte des champignons, dont voici quelques exemples rwandais :

- Le nom « umugina » (pl. imigina) désigne les lieux où poussent les champignons comestibles.
- Le verbe verbe « gusura » dont le sens premier est « rendre visite », signifie aussi « se rendre sur les lieux où poussent habituellement des champignons pour voir s’il y en a » ;
- « kwica », dont le sens générique est « tuer » , peut dans un contexte de cueillette signifier récolter des champignons en les arrachant ;
- « gupfa » dont le sens premier est « mourir », signifie « pousser » en parlant de champignons, et se former en parlant du faux sorgho. L’apparition des champignons comme du faux sorgho incite à leur cueillette, pour l’un comme pour l’autre leur apparition entraîne leur disparition.

Catégorisation des champignons comestibles

Au Burundi, la population rurale et particulièrement celle riveraine des forêts claires distinguent parmi les espèces comestibles trois catégories de champignons. Sont ainsi distingués :

- les champignons associés aux termitières « Ubunyamugina » que la taxonomie scientifique appelle termitophiles.

- les champignons vivant en relation avec des essences végétales comme « Ubuyenziyenzi » avec Brachystegia longifolia ou « Ubunyarutuntu » avec Julbernardia globiflora que la taxonomie scientifique qualifie de symbiotique ou hectomycorhizien.

- les champignons « Champignons des jachères : « Ubwoba bwo mu bunyovu » et les « champignons des fumiers » : « Ubwoba bwo muntambire » que la taxonomie scientifique nomment saprophytes.

Termitomycesreticulatus

Les espèces termitophiles appelées Termitomyces sont la source de nourriture pour les termites, les Macrotermitinae, qui vivent en symbiose avec ces champignons.

Beaucoup de noms vernaculaires sont spécifiques et quelques autres regroupent diverses espèces de champignons. Pour Benoît Nzigidahera, auteur d’une étude sur les ressources biologiques et l’état des connaissances traditionnelles au Burundi, « Ces groupes suivent extraordinairement la classification moderne et sont rangés dans des unités taxonomiques connues : ordre, genre voire même des sous-sections ».

Distinction des champignons toxiques

La crainte de consommer des champignons toxiques se retrouve dans la langue des Burundais qui appellent certaines variétés de champignons « Nsubiza aho unkuye » : « remets moi où tu m’as pris ». Au Burundi les champignons toxiques sont généralement appelés « Ibisazi », littéralement « champignons fous » ; certaines espèces toxiques particulières du genre Agaricus sont désignées par l’expression « Nsubiziyunkuye », qui signifie littéralement « Remets-moi à ma place ». Localement, à Cankuzo-Est par exemple, Lactarius pelliculatus forma pallidus dont la toxicité est particulièrement redoutée et d’autres espèces ectomycorhiziennes réputées toxiques sont dites « Gangara » : « Sois mort » ou encore « Mukanakuya » : « qui fait jaillir la sueur » ou encore « Nkura mu rutuntu ndagukure mu bana », littéralement « fais-moi sortir de la forêt d’umutuntu pour que je te soustraie à tes enfants » (Umuntu est le nom kirundi de l’arbre Julbernardia globiflora) .

Le champignon saprophytique le plus toxique connu est dit « Ikigangamazi » alors que le plus apprécié est dit « Ibinyanzari ».

Lactarius pelliculatus forma pallidus
Lactarius pelliculatus forma pallidus

La réputation de toxicité de Lactarius pelliculatus forma pallidus, en fait un champignon redouté par la population riveraine des forêts claires

Transformation de champignons toxiques en champignons comestibles

Plusieurs espèces réputées toxiques sont consommées après leur transformation par des procédés locaux. Ainsi les Burundais éliminent-ils la toxicité de certains champignons par un mode préparatoire est appelé « Gusabura ». Il s’agit d’une préparation en deux temps, qui a été décrite comme une « cuisine indirecte ». Elle consiste à cuire les champignons dans l’eau jusqu’à l’ébullition. Les carpophores sortis de l’eau sont ensuite conservés deux ou trois jours jusqu’à l’apparition moisissures fait apparaître une odeur souvent non agréable). Après, on les étale au soleil jusqu’à la dessiccation. C’est en ce moment que la toxicité est éliminée. Les carpophores se conservent alors facilement et se vendent dans cet état. On pourra dès lors les cuire et les accommoder de manière classique.

Vente de champignons séchés

Les champignons préparés par « cuisine indirecte » sont :

Divers champignons de la famille des Pleurotaceae :
- Lentinus sp.

Divers représentants de la famille des Amanitaceae :
- Amanita pudica (Mukondowamonge en kirundi)
- Amanita robusta (Murindiwisha) et d’autres espèces d’Amanita
(N.B. certaines amanites comestibles rendent ivres une fois consommées en grande quantité)

Divers Russulaceae :
- Russula patouillardii (Nyamiringa)
- Russula viscidula (Ubunyebuga)
- Russula sejuncta (Ururengerankware)
- Russula div. sp. (Nyeterere, Ubuhigahiga)

Divers Boletaceae :
- Afroboletus luteolus (Mpfumu, Matigsaho, Nyahaha
- Boletus loosii (Mpfumu)
- Rubinoboletus balloui (Mpfumu)

Divers Xerocomaceae :
- Xerocomus berquertii (Mpfumu)
- Xerocomus subspinulosis (Mpfumu)

Hymenogastraceae :
- Dendrogaster congolensis (Amavayinkende, Ugutwikwinkende)

Champignons médicamenteux

Le mot kinyarwanda « ibiyege » désigne certains champignons non comestibles à partir desquels sont préparés des remèdes.

Les champignons surtout du groupe de Polyporales sont utilisés en médecine traditionnelle au Burundi. Il n’est pas rare d’en trouver sur les étals des marchés locaux. Selon les tradipraticiens, les vertus médicamenteuses sont parfois liées à la plante sur laquelle le champignon est récolté.

Les champignons du groupe des auriculaires sont très utilisés chez certains tradipraticiens.

Dans certains milieux ruraux, certaines espèces de champignons à carpophores normalement comestibles sont connues comme aphrodisiaques.

Certains champignons toxiques, selon le degré de toxicité et avec des doses appropriées, sont également utilisés comme aphrodisiaques.

Alors que leurs récolteurs savent bien les espèces que leurs patrons tradipraticiens utilisent, ils ignorent souvent les maladies traitées du fait que la fabrication et surtout le mixage des produits se font en cachette. Il s’agit en fait des procédés traditionnels garnis de mesures rituelles traditionnelles de protection.

Auricularia auricula-judae

Auricularia auricula-judae, l’oreille de Juda est utilisée dans les pharmacopées du Burundi, du Ghana, du Nigeria et d’autre pays d’Afrique. Des recherches ont conclu que ce champignon présente des propriétés antitumorales, hypoglycémiques, anticoagulantes et hypocholestérolémiantes. En Europe, il était utilisé au XIXe siècle pour traiter des maux de gorge, des douleurs oculaires, la jaunisse, et comme astringent. Il est également utilisé dans la médecine chinoise. Outre ces applications médicinales, Auricularia auricula-judae est comestible, c’est un ingrédient populaire dans de nombreux plats chinois, comme la soupe aigre-douce.

Catégories des champignons comestibles

Les champignons comestibles du Rwanda et du Burundi peuvent être classés en plusieurs groupes.

Les champignons termitophiles regroupés sous le genre Termitomyces et constamment récoltés sur les termitières. Ce sont des champignons connus partout au Burundi et au Rwanda. Au Burundi, ces champignons sont appelés Ubunyamugina.

Ces champignons souvent délicieux peuvent être minuscules...

Imegeri (Termitomyces microcarpus) cueillis autour de notre maison à Nyamata

ou géants

Termitomyces titanicus (Icyoba)
Icyoba (Termitomyces titanicus) peut atteindre un mètre de diamètre

Les champignons saprophytes sont inféodés aux arbres pourris ou aux sols humiques. Ils tirent les substances qui leur sont nécessaires des matières organiques en décomposition

Collybia aurea

Ubushekesheke (Collybia aurea) pousse sur le bois pourri en forêt dense et humide de montagne

Les champignons symbiotiques ectomycorhiziens vivant en symbiose avec les arbres de certaines forêts notamment les forêts claires du Sud et Est du Burundi, mais également de certaines galeries forestières de l’Est du Burundi.

Peri itukura, la chanterelle rouge (Cantharellus ruber) est le champignon vendu le plus cher au Burundi car il est très apprécié par les expatriés de la capitale.

Ces grandes catégories nous serviront de canevas pour présenter les espèces de champignons comestibles sauvages connues au Rwanda et au au Burundi. Nous dédierons après ce triptyque une partie aux champignons qui sont cultivés dans la région.

Culture de champignons à Gihosha (Burundi)

Le dossier de La vie Re-Belle est donc constitué par la série d’articles suivants directement accessibles (lorsqu’ils seront rédigés) en cliquant sur leurs noms :

- Introduction aux champignons du Rwanda et du Burundi (présent article)

- Champignons termitophiles du Rwanda et du Burundi

- Champignons saprophytes du Rwanda et du Burundi

- Champignons symbiotiques ectomycorhiziens du Rwanda et du Burundi

- Champignons cultivés au Rwanda et au Burundi

- Manuel de culture des champignons au Rwanda et au Burundi

- Liste des champignons du Rwanda et du Burundi (champignons cités dans les divers articles du dossier, classés par ordre alphabétique de leurs noms scientifiques.

Plusieurs études nous ont aidés à rédiger ces synthèses d’information sur les champignons du Rwanda et du Burundi :

Buyck Bart (1994) -Ubwoba : Les champignons comestibles de l’Ouest du Burundi. AGCD, Publication agricole N°34.123 p.

Buyck Bart, and Nzigidahera, B., (1995) - Ethnomycological notes from Western Burundi. Belgian Journal of Botany. Volume 128 issue 2 pp. 128:131-138

Heim, R., (1977), Termites et champignons; les champignons termitophiles d’Afrique noire et d’Asie méridionale ; Centre National de la Recherche Scientifique, Société Nouvelle des Eds. Boubée.

Nzigidahera Benoît, « Ressources biologiques du Burundi. État des connaissances traditionnelles ».

Nzigidahera Benoît, Degreef Jérôme, Demuynck Laurent, Mukandera Assumpta, Nyirandayambaje Gudula, et De Kesel André : « Wild edible mushrooms, a valuable resource for food security and rural development in Burundi and Rwanda », publié en 2016 dans la revue Biotechnology, Agronomy and Society and Environment.

La base de donnée des champignons comestibles d’Afrique tropicale a également été un outil précieux.

Autres ressources intéressantes :

Amadou Bâ, Robin Duponnois, Moussa Diabaté et Bernard Dreyfus,

Les champignons ectomycorhiziens des arbres forestiers en Afrique de l’Ouest. Méthodes d’étude, diversité, écologie, utilisation en foresterie et comestibilité

Deborah Wendiro, Alex Paul Wacoo and Graham Wise, « Identifying indigenous practices for cultivation of wild saprophytic mushrooms: responding to the need for sustainable utilization of natural resources », Journal of Ethnobiology and Ethnomedicine (2019) 15:64

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 13/09/2020
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