L’air, l’eau et le sol

Conférence de Claude Bourguignon

Claude et Lydia Bourguignon

Claude Bourguignon est un ingénieur agronome français diplômé de l’Institut national agronomique Paris-Grignon et et Docteur es sciences en microbiologie du sol, ancien Assistant de Recherche à l’INRA.

Avec sa femme Lydia Gabucci-Bourguignon, maître es sciences et technicien en œnologie, il quitté l’INRA, et fonde en 1989 le Laboratoire d’analyse microbiologique des sols (LAMS) qui analyse sur le plan physique chimique et biologique les sols agricoles, afin d’aider les agriculteurs notamment à mettre en valeur leur sol de façon durable tout en préservant l’environnement et à obtenir de meilleurs rendements, par une meilleure connaissance et prise en compte du fonctionnement des sols.

Claude et Lydia Bourguignon sont parmi les premiers, dans les années 1970, à avoir alerté le grand public sur les effets de la destruction des sols vivants liés aux options de travail de la terre dominantes en agriculture et de la méconnaissance de la biologie des sols : dégradation rapide de la biomasse, perte d’humus, amenuisement de la richesse des sols en micro-organismes...

Il est possible de visionner sur internet plusieurs des conférences de Claude et Lydia Bourguignon. Nous avons voulu retranscrire la teneur de leurs propos pour pouvoir offrir la possibilité, à nous-mêmes et à qui le souhaite de prendre le temps d’assimiler la richesse d’information du contenu de leurs conférences.

Cet article n’est pas le texte brut d’une conférence particulière, même s’il s’appuie sur la retranscription et le déroulé de la conférence donnée par Claude Bourguignon à Sart-Bernard, Belgique, avril 2012, dans le cadre de rencontres intitulées « Sortons de la marmite ». Nous avons ajouté au texte de l’allocution du conférencier, d’autres moments de conférences du couple Bourguignon et des encarts citant d’autres chercheurs qui complètent ou sont des contrepoints à leurs propos. Ces propos additionnels sont en caractères italiques.

L’air, l’eau et le sol

La vie s’épanouit dans trois milieux : l’air que nous respirons ; l’eau que nous buvons et le sol qui est à la base de toute la vie qui est sur notre planète.

Curieusement les médias parlent de la pollution de l’air, de la pollution de l’eau, mais personne ne parle de la pollution et de la mort des sols. Or, tout part de là : si vous avez dégagement de gaz carbonique, réchauffement de l’air, c’est parce que les sols sont en train de mourir. Si les eaux sont polluées, c’est parce que les sols sont en train de mourir.

La différence entre ces trois milieux est que l’air et l’eau sont des milieux minéraux ; ils sont formés de composés minéraux extrêmement solides. Une molécule d’eau est composée d’un atome d’oxygène avec deux atomes d’hydrogène H2O. Oxygène et hydrogène sont reliés par des attaches atomiques extrêmement compliquées à casser, il faut énormément d’énergie ; il est très difficile de détruire l’eau, pour faire disparaître l’eau de cette planète, il faudrait chauffer la planète à cent degrés et c’est assez compliqué.

C’est pareil pour l’atmosphère. L’air est majoritairement formé majoritairement par un gaz qu’on appelle l’azote. Sa molécule est constituée de deux atomes d’azote attachés par une triple liaison absolument incassable.

On a mis un temps fou pour arriver à ouvrir la molécule d’azote et faire à partir de là, la poudre qui a permis la Première Guerre mondiale. Jusque là, on ne savait pas faire de nitrate. Messieurs Fritz Aber et Karl Bosch – c’est pour cela que les Allemands ont été appelés « les Boschs » – ont réussi les premiers la synthèse en 1903. Cette découverte sera appliquée assez rapidement pour faire la Première Guerre mondiale. À l’époque, il fallait dix tonnes de pétrole pour faire une tonne de nitrate.

Nitrate, guerre et agriculture

« Historiquement, les produits chimiques (engrais ou pesticides), aujourd’hui utilisés à doses massives dans le monde agricole, sont des substances militaires. Leur origine remonte directement à la Première Guerre mondiale et aux gaz de combat. Fritz Haber fut à l’origine de l’invention de la méthode de synthèse de l’ammoniac, élaborée en 1908 et adoptée dès 1909 par BASF. C’est grâce à cette production massive d’azote que la Première Guerre mondiale est devenue la première guerre industrielle. Fritz Haber a été le grand promoteur des gaz de combat réalisés grâce à son procédé, alors même que l’état-major allemand ne voulait pas en entendre parler. Le commandement allemand savait qu’utiliser ces gaz entraînerait une riposte de même nature de la part de la France et de l’Angleterre qui étaient à un niveau technique et scientifique à peu près égal à celui de l’Allemagne.

Fritz Haber a finalement obtenu que l’état-major allemand utilise ces gaz (à Ypres pour la première fois, d’où le terme « ypérite »). Quelques jours après, il est parti sur le front russe pour superviser à nouveau l’utilisation des gaz de combat. Avec plus de réussite, puisque les Russes étaient à un niveau technique bien inférieur. Craignant d’être condamné pour crime de guerre, Haber s’est réfugié en Suisse en 1918. Mais son inquiétude a été de courte durée : il a reçu la même année le Prix Nobel de chimie pour son invention de la synthèse de l’ammoniac, qui allait permettre de produire des engrais en quantités massives. On n’avait pas produit un gramme d’ammoniac pour l’agriculture pendant cette période-là, évidemment… Ça servait plutôt pour produire des explosifs, mais la capacité de déni de la réalité, de la part des scientifiques, est quelque chose d’hallucinant.

De façon plus large, l’origine de toute l’agriculture moderne se trouve vraiment dans la Première Guerre mondiale : les chars d’assaut ont été reconvertis en tracteurs à chenilles, les gaz de combat en engrais azotés, et des bases ont été posées, qui permettront la mise au point, plus tard, des pesticides… Toute la « révolution verte » a en fait une origine militaire. Jusqu’à l’approche du système agricole moderne, qui montre bien qu’« on fait la guerre ». Ainsi de ces célèbres photos de tracteurs ou de moissonneuses-batteuses, alignés comme à la parade, en Russie soviétique comme aux États-Unis : il y en a dix de front, c’est vraiment la charge de chars de combat, la lutte et l’acharnement contre la nature. »

La synthèse de l’azote grâce au charbon a permis de produire du TNT, qui a permis la Première Guerre mondiale. À la fin de la guerre, les chaînes de fabrication produisaient 6 millions d’obus par jour dans le monde. Après l’armistice les pays se sont retrouvés à devoir gérer une poudrière. Une usine d’armement arrêtée rouille instantanément parce qu’elle produit de l’azote oxydé, des nitrates, NO3. Que faire de tout l’azote produit  ?

On sait depuis les travaux de Liebig, que l’azote y est un facteur limitant de production agricole et comme on voit qu’à Verdun, tout a verdi et que c’est extraordinaire. Alors la décision est prise d’amener rapidement l’azote aux agriculteurs pour continuer la production de poudre au cas où il y aurait une nouvelle guerre. L’agriculture devient chimique par décision de l’État dans une situation ou la guerre mondiale provoquée et conduite par les États a exterminé une grande partie des paysans européens. Il y a carence de main d’œuvre, et il est impératif d’améliorer la productivité par unité de surface et de main d’œuvre, sous peine de famine généralisée.

Premier tracteur de fiat trattori en 1919

Ce schéma là, va se reproduire tout au long du XXe siècle, qui est le siècle le plus belliqueux de l’histoire des hommes. La généralisation de l’emploi des herbicides suit le même scénario. Ils sont issus des armes de guerre, des gaz moutarde, l’ypérite produits pendant la Première Guerre mondiale et d’autres armes chimiques élaborées entre les deux guerres. Les belligérants s’étant accordés sur la non-utilisation des armes chimiques. Les stocks devenus inutilisables vont être recyclés dans l’agriculture, comme herbicides pour le plus grand bonheur des industries chimiques qui non seulement pourront écouler leurs stocks, mais continuer à produire ces produits hautement toxiques, initialement dédiés à la destruction de l’homme ils serviront désormais à l’élimination de la vie végétale

L’air

L’air est composé d’environ 80 % d’azote, 18 % d’oxygène, 0,4 % de CO2 et quelques gaz rares :

La fonction de l’oxygène est de brûler le carbone ; l’oxygène est le comburant de la combustion organique. Les végétaux contrôlent cette combustion par la production d’antioxydants (vitamines, phénols, polyphénols, oméga 3, oméga 6…)

Ouvrir une molécule d’azote est vraiment compliqué. Nous respirons chaque jour 12 m³ d’azote, mais nos organismes sont incapables d’en utiliser le moindre atome. Les seuls organismes au monde capables de prendre l’azote de l’air et de le faire rentrer dans la vie sont des bactéries. Les bactéries récupèrent de l’azote et produisent de l’ammoniaque NH3, en échange de sucres lors de la digestion des matières carbonées par la macro et micro faune du sol.

Le métabolisme de cette digestion produit une fibre carbonée enrichie en azote. L’excrément est enrichi en azote par le processus digestif. La digestion du carbone par les êtres vivants est ce qui permet d’intégrer beaucoup d’azote dans le sol. Le vivant mange du carbone et évacue de l’azote par ses excréments.

Les seules plantes autonomes en azote sont les légumineuses ou certains arbres comme les aulnes du fait de la symbiose que ces végétaux réalisent avec les bactéries. Cette symbiose les rends capables de récupérer de l’azote et de le transformer en protéines qui sont à la base de la vie. Les nodules fixés sur les racines sur des légumineuses contiennent des azobacters. Ces bactéries fixant l’azote atmosphérique pour les plantes ont des relations symbiotiques avec les légumineuses. Le travail des azobacters consiste dans la fixation symbiotique de l’azote par les rhizobiums des légumineuses. En échange, les légumineuses apportent aux bactéries du carbone provenant de la photosynthèse.

Nodosités sur racines de soja

A propos des légumineuses et de l’azote

L’azote est un facteur limitant de la productivité du végétal. Cette règle a une exception : les légumineuses sont les seules plantes qui sont affranchies de ce besoin général. La légumineuse est une usine de production de l’azote dont elle a besoin. Pour autant, il serait faux de croire que l’azote créé par la légumineuse est disponible pour les autres plantes. L’azote du sol ne provient jamais d’une nodosité de légumineuse. La légumineuse n’enrichit le sol en azote par elle-même que très marginalement. L’azote de la légumineuse n’est rendu disponible pour le sol que par la décomposition et la digestion de la légumineuse par les organismes du sol.

Selon la matière organique digérée, l’humus produit est plus ou moins riche en azote. Pour que l’azote contenu dans le sol puisse être rendu disponible pour les plantes, il doit absolument être mangé et digéré.

Dans le cas de la forêt, il n’y a pas ou très peu de légumineuses. Comment fait le milieu pour passer d’un rapport C/N en forêt de 400, lorsque les feuilles mortes ou un arbre tombe, à un rapport C/N de 10 qui est la condition de stabilité permettant la croissance végétale  ?

Il faut donc que les plantes qui ne peuvent se développer sans azote trouvent 40 unités d’azote pour se développer de manière optimale. Ce sont les habitants du sol qui font tout le travail.

Si je veux rendre maraîchère une parcelle médiocre et dégradée, je vais épandre de la fibre riche en carbone : du BRF, des déchets verts, des pailles. Au début ; j’ai beaucoup d’adventices, mon taux de carbone est faible, l’activité biologique est quasi nulle : autrement dit, je commence par une faim d’azote.

Le temps que le processus du recyclage se mette en route, il faut quatre à cinq années. Pour réduire ce délai de moitié, il faut alimenter le système en matières carbonées. Si l’activité biologique est initialement faible, c’est parce que l’habitat de la faune du sol a été tassé, dévasté par les outils. Or comme ce sont les habitants du sol qui sont essentiels et font tout le travail de restauration de la fertilité du sol, il me faut penser en premier à eux. La macro et micro faune, et les champignons ont besoin d’air d’eau, de nourriture et d’un habitat en bon état. Or, l’outil est l’instrument majeur de destruction de l’habitat de cette faune, avant la chimie et ses biocides. L’outil est le premier facteur de destruction des écosystèmes et l’intrant chimique est l’adjuvant rendu nécessaire par la destruction du milieu par l’outil. »

Konrad Schreiber

Le sol est un milieu organo-minéral

Le sol est très différent de l’eau et l’air : ce n’est pas du tout un milieu minéral ; c’est un milieu organo-minéral. C’est-à-dire qu’il est formé de matières organiques qui proviennent du monde du carbone - du monde vivant - et du monde minéral – la décomposition des roches.

Quand vous dites à un chimiste que vous voulez attacher ensemble de la matière organique avec de la matière minérale c’est-à-dire le monde du carbone avec celui de la silice, il vous répond que ce genre de combinaison est extrêmement complexe. Or, la vie le fait très bien. La vie fabrique le sol à partir de cette matière organique, c’est-à-dire à partir de déchets de la vie, les champignons transforment ces déchets en humus. L’humus est une molécule extraordinairement complexe ; elle est la molécule vivante la plus extraordinairement complexe au monde.

L’humus et l’argile

La vie produit de l’ordre et complexité  

On voit ici que la vie, au lieu de faire comme les humains du désordre et de la mort, produit de l’ordre c’est-à-dire qu’elle organise les choses et les complexifie. À partir d’une molécule relativement simple d’une feuille morte, elle fabrique une molécule complexe : celle de l’humus. Cet humus a des charges négatives, et pendant que la vie fabrique de l’humus, les racines des plantes et les microbes attaquent le monde minéral, les roches, pour fabriquer de l’argile. Les argiles sont des cristaux, cristallisés en feuillets qui, comme ceux d’un livre, contiennent énormément d’informations. C’est entre ces feuillets que vont venir se loger les éléments nutritifs des plantes. Les argiles sont les cristaux les plus complexes du monde.

La vie pour réussir à durer, pour créer du durable, part de choses relativement simples comme des feuilles mortes et fait du complexe en créant l’humus ; à partir de choses relativement simples comme des roches elle fabrique encore du complexe en créant l’argile. Et ces deux structures fabriquées par la vie sont négatives et à ce moment deux des atomes qui ont deux charges positives : le calcium, le fer, vont avoir une charge positive qui va attacher l’humus et une charge positive qui va attacher l’argile et vont créer le complexe argilo-humique. À la destruction, la nature répond par la complexification. En biologie ce phénomène de création de la complexité est appelé aggradation.

Une planète nommée Terre

Il est remarquable que les anciens aient appelé notre planète « la terre ». […] Notre planète est effectivement la seule connue pour le moment qui possède de la terre. Parce que pour faire de la terre, il faut de la vie. Et quand il n’y a pas de vie, il n’y a pas de terre. Dans le Sahara, il y a des déserts de sable ou de pierre, mais il n’y a pas de sol parce que la vie ne peut s’y épanouir.

Ce qui est extraordinaire, c’est que la vie a créé le milieu le plus riche au niveau vivant et qui s’auto-entretient. Et depuis cinquante ans on n’a rien compris, on a décidé que cette complexité n’est pas intéressante. On considère que le sol est un support. On balance des engrais chimiques dessus. On brûle toute la matière organique, on dégage le gaz carbonique, on réchauffe la planète. Avec les engrais chimiques, on pollue tout, et après on s’étonne : « tiens il a des problèmes ».
Comment faire évoluer cette mentalité primitive ?

L’agriculture actuelle n’a rien compris. Elle détruit les sols. En six mille ans d’agriculture, nous avons détruit deux milliards d’hectares de terre et créé deux milliards d’hectares de désert. Quand l’homme a cultivé la terre, les déserts représentaient onze pour cent de la surface de la planète, ils en représentent plus de trente pour cent maintenant et nous désertifions la planète à la vitesse de dix millions d’hectares chaque année. En un siècle, c’est-à-dire depuis qu’on a inventé les engrais chimiques, nous avons créé un million d’hectares de désert, c’est-à-dire autant que dans les six mille ans d’agriculture qui nous ont précédés.

« Lorsqu’une goutte d’eau tombe sur le sol les bactéries qui la reçoivent se gorgent de l’eau dont elles ont besoin et transmettent aux bactéries inférieures l’eau en excès. L’eau qui le sol pénètre par les orifices creusés par les vers de terre se transmet de bactérie à bactérie, jusqu’a la roche mère, la nappe phréatique. Quand la surface est carencée en eau, l’eau remonte par ces mêmes voies bactériennes. L’eau qui crée la vie circule ainsi avec la vie. L’eau qui est descendue peut donc remonter et être mise à disposition des organismes qui en ont besoin. Mais ce processus suppose une condition : qu’il n’y ait pas de charge d’évaporation en surface ; que ça serve à quelque chose. Si la pompe fuit, la pompe est arrêtée. Un sol labouré va anéantir de système de circulation et de mise à disposition de l’eau.

Considérant le mécanisme de circulation de l’eau dans les sols, une conclusion s’impose : la sécheresse n’est presque jamais un état naturel. Elle est toujours le produit d’un stress, le résultat d’une intervention humaine, ou d’une catastrophe et le désert est un lieu où le sol a été détruit par de mauvaises pratiques agricoles. 

- Culture sur brûlis des aborigènes et des anciens de la péninsule arabique, surexploitation, labour, terres à nue et érosion systématique, latérisation des terres, accélération climatique ont engendré le désert australien, le Rub Al Khali de Oman et l’Arabie Saoudite

- Irrigation : arroser n’importe comment crée du désert  ! trop d’arrosage et le sol se transforme en sel, comme à Babylone, berceau des céréales.

- Élevage : le désert du Sonora à la frontière du Mexique et du Texas était une forêt au XVIIIe siècle ; cette forêt a été vite coupée pour soutenir l’effort américain de révolution industriel et l’élevage…

- Défrichement : lorsqu’en 1785, Aimé Bomplan, botaniste de Louis XV et Alexander von Umbolt, correspondant voyageur de Goethe arrivent sur les côtes de Piura, il décrivent une forêt luxuriante. C’est dans ce lieu prodigue où s’épanouissaient les cacaoyers, que Jean Nico a fait la première description du Tabac… Aujourd’hui la pointe la plus occidentale du Pérou est complètement désertique. Ce désert est l’aboutissement des pratiques de défrichement de mise en culture par les immigrants européens. Le travail du sol a fait disparaître la partie aérobienne du sol. Or, dès que celle-ci disparaît, on rentre dans une phase de désertification. » George Oxley

Érosion éolienne, hydrique

La terre part soit sous forme d’érosion éolienne, soit sous forme d’érosion hydrique. L’érosion éolienne c’est les grands vents de poussières et sables. Maintenant dès qu’un tracteur se déplace sur le sol, il soulève un nuage de poussière. Or un sol vivant ne produit pas de poussière. Quand un instrument aratoire soulève un nuage de poussière derrière lui, c’est le signe qu’il travaille un sol mort. Il y a eu des dust bowls très célèbres quand les États-Unis ont détruit leur Middle-West dans les années trente. Le labour de ces plaines d’une extraordinaire fertilité, a abouti en trente ans à la destruction de ces sols fertiles en les minéralisant et en n’en faisant disparaître la matière organique. Il y en a actuellement d’impressionnants en Chine ou en Australie.

Dust storm au Texas

Érosion hydrique

La deuxième forme d’érosion est hydrique : quand il pleut le sol n’est plus tenu par la matière organique, les argiles se mettent en suspension. La chine est le pays où l’érosion hydrique est la plus importante sur terre, Les sols chinois étaient les plus fertiles de la planète, avec les limons les plus profonds du monde atteignant jusqu’à 300 m d’épaisseur. Ces limons se perdent par millions de tonnes par érosion hydrique. Le fleuve jaune porte ce nom à cause des boues qu’il charrie.

Eau boueuse issue des terres cultivées et eau claire issue de la forêt amazonienne

En France on arrive à casser même les argilo-calcaires. J’ai expliqué que pour attacher l’argile et l’humus il faut du calcium ; dans le calcaire il y a plein de calcium on expliquait quand j’étais à l’agro que se sont des sols extrêmement solides qu’on ne pouvait pas les casser. Pourtant l’érosion hydrique y arrive maintenant.

L’observation de terrain montre que là où il y a de l’herbe il n’y a pas d’érosion. La simple observation montre que la terre pour vivre besoin de végétation. La première erreur agronomique est de mettre un sol à nu. Un sol a toujours besoin d’être couvert de végétation. Dès qu’il y a de la racine les sols sont tenus.

Aujourd’hui, dès qu’il pleut les rivières sont pleines de boue. Ça ne gène plus les hommes qui se sont habitués à voir partir leur terre dans les rivières. Pourtant ce phénomène est totalement anormal, il n’existe que là où vivent les humains. Il n’y a jamais d’eau boueuse dans les milieux naturels. Une rivière boueuse est le symptôme de sols en train de mourir. Une eau ne devrait jamais être boueuse.

Irrigation et mort des sols

L’eau d’irrigation est le deuxième facteur de destruction des sols vivants. Elle joue un rôle dans la mort des sols pour deux raisons :

Dans la nature, il ne tombe sur le sol que de l’eau de pluie qui est une eau distillée. L’irrigation se fait avec une eau de nappe qui est chargée de minéraux, de calcium, de sodium de magnésium selon les roches du sous sol. À terme, un sol irrigué est salinisé par l’eau de nappe et les plantes meurent. On salinise à l’heure actuelle huit millions d’hectares de terre par ans à cause de l’irrigation.

On a de la matière organique dans nos sols l’été parce que quand il fait chaud, il fait sec. Quand on met de l’eau sur un sol chaud, on provoque une minéralisation de la matière organique et on la fait disparaître. Dans les pays tropicaux la nature se défend bien car elle a une végétation extraordinairement puissante qui met la terre à l’ombre et la protège de la montée en température et qui fait que la minéralisation est lente. Dans une forêt équatoriale en bon état, il fait à l’ombre une température une température de 20 degrés. Mais dès que l’on coupe une forêt pour en faire un champ de soja on monte à 40, 45 degrés. Le sol monte à 50 degrés et les niveaux de minéralisation ne sont pas du tout les mêmes.

Or plus les sols meurent, moins ils produisent et plus on irrigue pour maintenir les niveaux de production. En France et en Europe on passé d’une perte de sol de 10 tonnes à 40 tonnes, aux États-Unis de 40 tonnes à 200 et la Chine en perd 500 tonnes. Nous perdons notre patrimoine nutritif de façon extrêmement rapide. L’activité biologique des sols s’est effondrée. La présence de ver de terre est passée entre 1950 et maintenant de 2 tonnes à l’hectare à moins de 100 kilos. La masse des vers de terre était équivalente à celle de tous les autres animaux réunis et ils sont en train de disparaître complètement.

Comme on perd 10 millions d’hectares chaque année et que la population augmente de 70 à 100 millions chaque année, nous déforestons 10 à 12 millions d’hectares de forêt chaque année essentiellement en milieu tropical pour compenser notre perte de terre. Or en détruisant la forêt et en brûlant les matières organiques, au bout de cinq ans le sol est épuisé.

Haïti est avec Madagascar, la plus grosse catastrophe, écologique et agricole de la planète. L’histoire d’Haïti est tragique. Première colonie qui se révolte contre l’esclavage Haïti va faire la guerre contre l’empire napoléonien. Napoléon capture Toussaint Louverture et le fait mourir dans le fort de Jou dans le Jura. Les Haïtiens continuent à se battre et Napoléon finit par accorder l’indépendance à Haïti, mais exige 150 million de francs or en échange de la liberté. Pour payer cette somme Haïti va vendre tous ces bois précieux et déforester son territoire. Le pays ne s’en est jamais relevé.

Parallèlement à cette déforestation, nous bétonnons cinq millions d’hectares chaque année. Un pays comme la France bétonne un département tous les sept ans.

L’Europe ne se nourrit plus. Elle est la première importatrice de nourriture du monde. Il n’y a plus de sécurité alimentaire en Europe. La révolution verte est un échec total. La population urbaine dépasse la population rurale, ce qui pose des problèmes d’approvisionnement en eau, nourriture... Un milliard d’homme vivent dans des bidonvilles. On appelle ça le développement  !

Lorsque nous sommes invités à analyser les sols dans un pays tropical, nous commençons par demander à aller en forêt, ce qui déroute nos clients. Il faut expliquer que l’intérêt de la forêt est quelle est un milieu sans érosion et que on veut développer un modèle durable d’agriculture, il faut d’abord regarder comment le modèle naturel local fonctionne le comprendre et s’en inspirer pour faire de l’agriculture durable. Autrement dit il faut quitter l’agronomie – en grec agros c’est le sol nomen c’est la loi - en agronomie l’homme impose sa loi au sol pour aller vers l’agrologie, la connaissance du sol – logos c’est la connaissance. C’est par la connaissance des mécanismes du sol qu’une agriculture devient possible.

Nous avons un déficit net de cinq millions chaque année, une population qui augmente d’au moins soixante-dix millions, nous cultivons 1,5 milliards d’hectares chaque année pour sept milliards soit un peu moins de 2200 m² par habitant. Un pays comme la France en dépense 6000 m² par habitant. Si certains consomment 6000 m² alors qu’il n’y a que 2200 km² par habitant, certains vont mourir de faim et c’est ce qu’on observe : à l’heure un milliard de personnes sont dans un état de sous alimentation et sont carencés en un ou plusieurs oligoéléments. Un milliard de personne souffrant de malnutrition, c’est autant de personne qui vivait sur la terre en 1800. Jamais dans l’histoire de l’humanité il n’y a eu autant d’homme qui crève de fin. Il va bien falloir réfléchir à un autre modèle de développement durable.3

Comment a-t-on fait pour détruire les sols  ?

Le mécanisme de destruction des sols par l’homme est toujours le même. Il commence par la mort biologique : disparition des vers de terre, de la macro et microfaune, des champignons du sol, puis se poursuit avec la dégradation chimique, et enfin avec la dégradation physique.

Pour faire mourir un sol il suffit de mettre des engrais chimique dedans. Au lieu de fabriquer de l’humus, les engrais minéralisent la matière organique.

L’humus stable est fabriqué par les champignons qui sont les seuls et unique organismes qui attaquent la lignine qui est essentiellement produite par les arbres. La lignine est contenue en moindre quantité dans la paille mais celle-ci est essentiellement constituée de cellulose.

Les champignons transformateurs de lignine se multiplient très lentement car la molécule de lignine est très solide. Ils se multiplient vingt fois mois vite que les bactéries. Il ne peut y avoir de champignons dans un sol que si le rapport carbone sur azote du sol est élevé, c’est-à-dire que si vous avez beaucoup de carbone et très peu d’azote dans le sol. Si comme le font les agriculteurs, vous mettez beaucoup d’azote dans le sol, vous allez baisser le rapport C/N. À ce moment là vous provoquez une multiplication des bactéries qui se multiplient 20 fois plus vite que les champignons et au lieu d’avoir de l’humus dans votre sol, vous provoquez une minéralisation de la matière organique. C’est comme ça que l’Europe, entre 1950 et aujourd’hui, est passée en moyenne de 4 % à 1,6 % de matière organique dans les terres agricoles.

Pourtant quand vous regardez ce qui se passe dans un champ de blé - nos anciens en faisait deux tonnes à l’hectare, maintenant on en fait cinq à six tonnes soit trois fois plus - on devrait avoir plus de matière organique puisqu’on fait plus de paille. Oui, mais c’est une paille qui est pleine d’azote, qui est minéralisée par les bactéries et qui donc ne donnera jamais naissance à de la matière organique.

Blé ancien

Toutes les matières organiques que nous mettons ont tellement d’azote et si peu de carbone que tout se minéralise. À l’heure actuelle avec les engrais chimique on fait rentrer plus d’azote que la nature n’en fait rentrer par elle-même. Résultat toute la matière organique par sous forme de gaz carbonique et participe au réchauffement planétaire. La matière organique s’effondrant, la faune (vers de terre, collemboles, acariens...) disparaît du sol. Or le rôle de cette faune est de faire remonter les éléments en surface. Un vers de terre remonte son poids de terre chaque jour, il remonte une crotte qu’on appelle un turricule dont l’analyse montre qu’il est plein de phosphore, de potassium, de calcium de magnésium. La pluie envoie tout dans le sous-sol et la vie pour se maintenir durablement lutte contre cette force physique. La faune remonte ce que la pluie entraîne vers le bas. Si les vers disparaissent, il n’y a plus personne pour remonter les nitrates, les phosphates qui vont dès lors descendre et polluer les nappes phréatiques et les rivières.

On entre alors dans le cycle de dégradation chimique des sols. Les sols perdent les nitrates et les phosphates. Ayant déjà perdu les matières organiques qui retenaient les argiles, ayant perdu par lessivage le calcium qui retenait en les attachant ensemble argile et humus les argiles s’en vont, c’est se qu’on appelle l’érosion.

L’érosion c’est quoi  ? C’est quand les argiles entrent en suspension dans l’eau et partent. La terre s’en va. La force érosive de l’eau est liée au carré de sa densité. La densité de l’eau par définition physique c’est un. « Un » au carré c’est un. L’eau pure, propre n’érode pas. La densité des argiles est 4. Les argiles étant chargées négativement – elles sont colloïdales – elles entrent en suspension dans l’eau. L’eau argileuse va alors avoir un force érosive, elle va être capable de soulever les limons, elle va être capable de soulever les sables. Plus elle va être dense, plus elle va arracher des choses importantes et à la fin elle va faire rouler des cailloux, emporter des voitures. Ce n’est pas l’eau pure qui fait du dégât, c’est l’eau chargée de terre.

Labour et destruction des sols

« Un sol vivant, en équilibre est à la fois un système digestif et une chaîne alimentaire.

Un sol vivant c’est d’abord la roche mère. Sur cette roche mère s’est opéré pendant des millions d’année le travail de bactéries qui ont crée petit à petit le sol, qui ont tiré des matériaux de cette roche mère avec lesquels ils ont construits tout ce qui a permis au vivant de se développer.

Au dessus de la roche mère, il y a un espace qui vit sans air, un espace anaérobie ou s’opèrent des fermentations. Dans cette zone vivent des êtres extrêmophiles qu’ont retrouve aussi au fond des océans, les archéas.

Au-dessus, on trouve des Bactéries aérobies et d’autres anaérobies et d’autres mixtes.

Au dessus dans une couche qui mesure 5 cm, 10 cm dans les meilleurs des cas, les bactéries aérobies qui ne vivent qu’avec l’air.
90% de la masse du vivant se trouve dans le sol. Un sol vivant est un espace de symbiose et de commensalité des organismes qui y résident.

A la fois système digestif et chaîne alimentaire, le sol ingère toute matière organique qui tombe sur lui et la digère pour la redonner à la vie végétale. De la biodiversité de la flore bactérienne de superficie dépend tout le fonctionnement du reste de la chaîne alimentaire. En labourant les bactéries aérobies se retrouvent sans air, et les anaérobie sont tués au contact de l’air.

Ces bactéries fragiles à l’air, sont en revanche capables de survivre à un manque d’eau, on peut leur enlever 98 % de leur eau. Lorsqu’une goutte d’eau tombe sur le sol, les bactéries qui la reçoivent se gorgent de l’eau dont elles ont besoin et transmettent aux bactéries inférieures l’eau en excès. L’eau qui le sol pénètre par les orifices creusés par les vers de terre se transmet de bactérie à bactérie, jusqu’à la roche mère, la nappe phréatique. Quand la surface est carencée en eau, l’eau remonte par ces mêmes voies bactériennes. L’eau qui crée la vie circule ainsi avec la vie. L’eau qui est descendue peut donc remonter et être mise à disposition des organismes qui en ont besoin. Mais ce processus suppose une condition : qu’il n’y ait pas de charge d’évaporation en surface ; que ça serve à quelque chose. Si la pompe fuit, la pompe est arrêtée. Un sol labouré va anéantir de système de circulation et de mise à disposition de l’eau. » Georges Oxley

« Dans un milieu artificiel, mais reproduisant la « bio-logique », un facteur clé est l’absence de coup de chaleur. Il faut que le milieu soit en permanence climatisé et à l’abri du soleil. Le soleil est ce qu’il y a de pire pour les microorganismes. Le rayonnement solaire les stérilise et les tue par brûlure. Si le sol voit la lumière, on perturbe la vie du sol en tuant les microorganismes qui mangent la fibre de carbone. Le métabolisme des êtres vivants est capable de bio climatiser le sol pour peu que l’on favorise son isolation par un couvert végétal capable d’amortir les écarts de température. L’optimum de vie biologique s’opère à 25 degrés Celsius. Le couvert, le paillage isole tout en étant biodégradable et en apportant de la nourriture à la faune du sol et en apportant de l’azote dans la phase de digestion et de production d’excréments enrichis en azote. » Konrad Schreiber

A droite, le blé planté retient la terre, à gauche la terre n’est pas retenue par un couvert végétale et s’en va avec les précipitations

En une génération, le sol cultivé qui était au même niveau que le sol forestier a perdu 50 cm de hauteur.

Sous toutes ses formes l’agriculture industrielle, est une agriculture suicidaire. Aucune autre espèce n’a été aussi stupide que l’espèce humaine, qui détruit intentionnellement la source de son alimentation tout en se croyant très intelligente. Les Nations unies ont défini le génocide comme l’intention délibérée de détruire partiellement ou d’exterminer un groupe humain. Or ce qu’on fait subir aux agriculteurs du monde entier, c’est une volonté délibérée de leur nuire et de les faire disparaître. C’est le plus grand génocide du monde. Et c’est aussi le génocide des femmes parce que l’alimentation était le dernier domaine où elles avaient le pouvoir. Elles étaient les gardiennes des graines, les productrices et distributrices des aliments et tant que les femmes ont le pouvoir, la société est protégée, libre.

Repenser radicalement les choses

Si on veut sortir de la logique délétère de destruction des sols, il va falloir repenser les choses radicalement. Et ne plus donner foi à la propagande agro-industrielle qui n’a aucune base scientifique. Pour repenser les choses, il faut avoir la patience de regarder comment fonctionne un sol, d’accepter d’aller en forêt et de regarder comment fonctionne ce qu’on appelle l’enfer vert pour avoir une telle durabilité. Le modèle forestier est incroyablement durable. Comment fait-il pour durer  ?

Processus de création des sols fertiles.

Tous les ans la forêt fait tomber ses feuilles mortes, des bouts de branches mortes sur le sol ce qui va former une litière. Cette litière est attaquée par une faune très particulière qu’on appelle la faune épigée : les collemboles qui sont les dentellières de la terre, les acariens, les cloportes... et d’autres animaux qui ont des mandibules et qui vont décomposer cette litière et faire des boulettes fécales. Ces boulettes fécales constituées de matière organique réduite en éléments extrêmement fins vont être attaquées par les champignons et transformées en humus. Si on regarde ce qui se passe en milieu naturel sauvage, la matière organique se fabrique en surface. On comprend alors que la première erreur agronomique est bien le labour. Le labour est une arme de destruction massive des sols puisqu’elle enfouit la matière organique dans le sol et il se trouve qu’il n’y a pas de champignons anaérobies qui puisse vivre en surface de la terre.

La ville de Venise en est une preuve, elle repose sur des piliers de chêne qui sont sous l’eau et ne se décomposent pas. Quand vous enfouissez de la paille, vous êtes en anaérobiose et vous ne produirez jamais d’humus. En mettant la lignine au fond les hommes arrêtent la production d’humus ; ils bloquent le processus.

Parmi les animaux qui décomposent la litière, un premier groupe - les collemboles - mange les parties tendres des feuilles ; c’est un groupe varié dont la densité de population dans nos forêts est de trois à quatre milliards à l’hectare alors que certains sols agricoles n’en recèlent plus un seul. Les collemboles sont responsables des feuilles en dentelles ; ils mangent ce qui est très tendre.

D’autres animaux attaquent les nervures des feuilles. Ce sont les acariens. Leur densité est aussi de trois à quatre milliard à l’hectare. Plus résistant que les collemboles, on en trouve dans les analyses de sols agricoles.

D’autres animaux attaquent les bouts de bois et autres matières dures. Ce sont des myriapodes et des crustacés comme les cloportes.

On trouve ensuite des vers qui vivent à la surface du sol et vont souvent manger les excréments des autres.

Le travail de ces animaux est ce qui va conférer aux sols forestiers une extraordinaire perméabilité. Quand on mesure la perméabilité des forêts de nos régions, on trouve qu’elles peuvent absorber 150 millimètres d’eau à l’heure alors qu’un limon labouré par l’homme n’absorbe qu’un millimètre d’eau à l’heure. En forêt équatoriale on trouve des taux de 300 mm d’eau à l’heure.

Microfaune des sols africains

Aux environs de Lubumbashi et dans un milieu édaphiquement homogène, Freson, Goffinet et Malaisse (1974) ont inventorié la microfaune du sol en forêt dense, forêt tropophile et savane ; le nombre d’individus trouvés par m² (N) ou en kg de poids sec par hectare (B) se réparti comme suit :

Arbres et sol

Puisque tous les humus sont en surface, fabriqués par les champignons et qu’au printemps les humus vont être minéralisés par les bactéries, dès que le sol va dépasser 7 degrés au printemps, les arbres vont produire un tapis de racines sous la couche de matière organique.

Les arbres ont en fait deux systèmes racinaires :

- un système racinaire horizontal sous la couche d’humus récupère tout ce qui se minéralise de l’humus et le renvoie dans l’arbre.

Le système sol plante est fermé, il n’y a pas de perte sous forêt parce que les racines sont sous la matière organique. L’homme lui met la matière organique sous les racines du blé. Évidemment ça se minéralise ; le blé court après et ça va dans la nappe. L’homme n’a pas compris qu’il fallait mettre la matière organique au-dessus des racines et non pas sous les racines. La première leçon que donne la nature est que la matière organique ne doit jamais être enfouie dans un sol. C’est la première règle de base agronomique. La matière organique doit toujours rester en surface.

- Les arbres ont un deuxième système racinaire vertical qui va gagner la roche.
Où la roche est fissurée, la racine va continuer sa progression verticale. Le record mesuré en Europe sous chêne est de 150 mètres, sous ormes de 110 mètres, sous merisier de 140 mètres. Les spéléologues rapportent qu’ils voient ces racines qui ruissellent à ces profondeurs. Les arbres sont les seuls organismes vivants de cette planète qui mettent en communication l’excès d’eau de pluie avec la nappe phréatique. L’eau descend le long du système racinaire de l’arbre qui consomme tout ce qu’il y a dans l’eau et l’eau arrive pure dans la nappe phréatique. Aux endroits où la roche n’est pas fissurée, la racine va ramper sur le caillou, l’attaquer et le transformer en argile. À cette profondeur là, il y a des racines qui meurent. Il y a des animaux spécialisés - la faune endogée – qui vont nettoyer ces racines mortes et permettre aux racines vivantes de se développer et permettre également au sol de garder une bonne porosité même en grande profondeur. On retrouve en profondeur les mêmes genres de faunes qu’en surface, mais ce sont des animaux aveugles – cette faune extrêmement mal connue à ce jour nettoie toutes les racines mortes. Des vers très fins, de la finesse d’un cheveu long de 20 cm suivent les racines mortes et les mangent ; les groupes les plus petits – les protours – découverts en France dans les années 70 sont spécialisés : ils mangent les poils absorbants.

Pour vous donner une idée, un pied de blé fait 200 km de racines et 5000 km de poils absorbants dans un limon, nous mettons 200 pieds de blés au m² ça fait quatre milliards de km de racine à l’hectare. Quand nous mesurons les poils absorbant d’un pied on obtient 5000 km par pied Cette faune endogée s’emploie à nettoyer ces racines.

Quand on arrive au niveau de la roche mère d’un sol vivant, elle est couverte d’excréments de faune endogée, on trouve donc de la matière organique en grande profondeur.

Ainsi, en surface les humus sont produits par la décomposition de la litière par la faune et sa transformation par les champignons ; en profondeur les roches sont attaquées et transformées en argile. Le sol est un complexe argilo-humique.

Comment les argiles et l’humus se rencontrent-ils alors que les premières sont au fond et le second en surface ? Ils vont se rencontrer grâce à une troisième faune, les lombrics, la faune anécique qui vit dans des terriers verticaux. Toutes les nuits ils sortent, viennent chercher de la matière organique, font demi-tour, vident leurs intestins pour former un turricule. Ils redescendent, et il se trouvent que dans leur intestin ils ont une glande qu’on appelle la glande de morène qui est extrêmement riche en calcium et c’est dans le système digestif du lombric que vont se mettre en contact argile et humus. Le lombric monte chaque jour à la surface son poids de terre. Dans une terre saine, on a une à quatre tonnes de vers à l’hectare et donc une à quatre tonne de terre remontées à la surface et ce sont les lombrics qui vont créer le sol.

« La fertilité d’un sol, ce n’est pas les éléments NPK, c’est le cycle de la matière fraîche carbonée. La matière fraîche carbonée est composée par la cellulose et la lignine. La faune du sol va consommer la cellulose et les champignons, la lignine. Le produit de la décomposition de cette matière va être stocké dans le sol jusqu’à des profondeurs de plusieurs mètres. On appelle bioturbation ce phénomène de transfert d’éléments nutritifs ou chimiques par des êtres vivants au sein d’un compartiment d’un écosystème ou entre différents compartiments. Le mot décrit aussi le phénomène de mélange actif des couches de sol ou d’eau par les espèces vivantes, animales principalement.. » Konrad Konrad Schreiber

Rôle et stratégies des racines

Après les animaux, le deuxième groupe d’organismes qui vit dans le sol est celui des racines. Les plantes ont deux stratégies totalement différentes.

Racines des plantes annuelles

Les plantes annuelles doivent faire leur cycle dans l’année et se mettre à fleur et à graine dans l’année pour assure leur survie. Ces plantes se caractérisent par le fait que leurs racines doivent pousser extrêmement vite. La racine d’un blé pousse d’un centimètre par jour en hiver de quatre à cinq centimètres par jour en été, celle d’un maïs peut pousser de quinze centimètres par jour. L’avant des racines a une membrane qu’on appelle la coiffe qui les protège du frottement contre la silice du sol et tout de suite derrière la coiffe, les cellules s’allongent pour former ce qu’on appelle les poils absorbants qui permettre à la plante de rentrer en contact avec le complexe argilo-humique pour se nourrir.

Racines des plantes pérennes

Les plantes pérennes de même que les arbres n’ont pas de poils absorbants. Elles vont faire une association obligatoire avec les mycorhizes. Les mycorhizes qui sont très fines vont chercher la nourriture - le phosphore, azote, etc.- dans le complexe argilo-humique et en échange les arbres et les plantes pérennes lui donnent du sucre. C’est ce qu’on appelle une symbiose.

Microbes, bactéries & autres microorganismes

Troisième groupe d’organismes du sol : les microbes. Les microbes du sol représentent de loin la plus grosse masse microbienne de la planète. Ils sont composés de bactéries, d’actinomycètes qui sont minéralisateurs, d’algues, de champignons qui sont humificateurs. La force de ces microbes est de recycler tout. On les connaît encore très mal, mais sans eux la vie serait impossible. Ils gèrent les cycles du carbone, du phosphore, de l’azote... tout passe par eux.

Dans un gramme de sol forestier, vous avez dix milles à cent millions d’actinomycètes, dix millions à dix milliards de bactéries, cent à dix mille algues, mille à un million de protozoaires, dix mille à un million de germes de champignons.

Si on les pèse, ça fait deux à trois tonnes à l’hectare, ils ont une énergie biochimique qui est trois cent cinquante fois supérieure à la nôtre. Deux ou trois tonnes de microbes à l’hectare, c’est l’équivalent de mille tonnes d’êtres humains au niveau biochimique et l’agronomie moderne fait comme si ça n’existait pas. Ils ont des puissances biochimiques incroyables des capacités respiratoires très fortes. Donc il ne faut pas faire n’importe quoi. Le métier d’agriculteur c’est de gérer cette fermentation des sols dans la bonne direction.

Les champignons comme les rosés des prés ont tous quasiment disparu. On met tellement d’azote qu’ils ont disparu. Quand on sait que les basidiomycètes qui représentaient les deux tiers de la microflore du monde ont disparu et qu’ils sont les seuls à fabriquer de l’humus on comprend la catastrophe vers laquelle va toute l’agriculture mondiale. Les agronomes ne savent pas ce qu’est un basidiomycète, ils ne savent pas qu’il n’y a que les champignons qui attaquent la lignine et qu’il n’y a qu’eux qui font de l’humus.

Les agronomes sont obsédés par la minéralisation, ils sont bactériophiles. Pour eux, il faut que ça minéralise. Ils ont complètement oublié une fonction vitale de la survie des sols : la fonction d’humification des sols qui n’est faite que par les champignons et les basidiomycètes.

Fonction nourricière des microorganismes

Le deuxième rôle des microbes après la fabrication de l’humus est de nourrir les plantes. La plante est rigoureusement incapable de se nourrir seule dans un sol. Les microbes vont lui rendre les éléments assimilables.

Pour qu’un élément soit assimilable, il faut qu’il soit soluble dans l’eau. La plante se nourrit en absorbant l’eau. En l’absorbant, elle va absorber les ions solubilisés dans l’eau. Une substance est soluble dans l’eau lorsqu’elle est bionique c’est-à-dire qu’elle est sous forme soit négative on appelle ça un anion, soit sous forme négative, on appelle ça un cation.

Les microbes sont les seuls êtres capables des substances chimiques issues des sols et des roches en composés solubles. Ils utilisent pour cela deux grandes voies biochimiques :

La voie de l’oxydation :

Trois éléments vont être oxydés par les microbes et transformés en forme ionique négative :

- L’azote qui est transformé par les nitrobacters et les nitrosomonas en nitrate (NO3-), négatif donc soluble dans l’eau et donc transportable vers la plante.

- Le soufre que les sulfobactéries vont transformer en sulfate (SO4- ) soluble dans l’eau et donc transportable vers la plante.

- Et enfin les phosphores qui seront transformés en ions phosphates (PO4- ) par les mycorhizes et qui seront absorbés par les plantes.

Azote, soufre et phosphore sont les seuls éléments du sol qui à l’état oxyde sont solubles. Tous les autres oligo-éléments, en particulier à l’état oxyde, sont précipités. L’oxyde fer (Fe2O3) par exemple est totalement précipité. Je peux vous montrer des vignes du sud de l’Europe sur des sols bruns rouge bourrées de fer qui sont totalement chlorosées, totalement jaune alors qu’elles ont les pieds dans le fer. Il se trouve que se sont les microbes qui leur donnent le fer et si ces microbes ont été tués à coup d’herbicides de pesticides la vigne va chloroser alors qu’elle est sur une mine de fer.

La voie de la chélatisation :

Pour rendre absorbables les éléments qui à l’état oxyde sont insolubles les microbes vont vont les chélater. Il s’agit d’une réaction beaucoup plus complexe et subtile que l’oxydation. Les microbes vont prendre l’oligo-élément et vont l’attacher avec un acide organique qu’ils synthétisent et vont créer un complexe qu’on appelle un chélat. Un chélat, c’est donc un complexe acido-organique fabriqué par les microbes et les métates .

Par exemple pour le fer, ils vont fabriquer un citrate de fer, un tartrate de fer, un succinate de fer... cela dépend du groupe microbien. Ce qui est intéressant c’est de voir que les microbes pour rendre un élément assimilable, fixe de l’oxygène sur l’atome à transporter. Ils ont fixé trois atomes d’oxygène sur l’atome d’azote, quatre atomes d’oxygène sur le soufre et le phosphore, deux atomes d’oxygène par oligo-élément.

Pour que les microbes puissent fixer l’oxygène, il faut que le sol soit aéré, et ce qui aère le sol c’est la faune et là vous comprenez comment on a fait pour rouler les agriculteurs, en leur faisant tuer la faune en mettant des engrais organiques. Il n’y a plus d’oxygénation dans les sols, plus de fabrication de nitrates, de sulfates, de phosphates. Et les marchands d’engrais sont arrivés en disant : « nous on vend du nitrate, on vend du sulfate, on vend du phosphate. » Il fallait y penser. On ment d’autant plus aux agriculteurs que l’estomac de la plante ce n’est pas ses racines.

L’estomac d’une plante c’est sa feuille.

Les plantes sont des organismes qui vivent « la tête » enfouie dans le sol, les organes génitaux et l’estomac en l’air. Les plantes ne vivent pas comme nous. Elles ne se déplacent pas. Elles ont fait un choix de vie complètement différent du notre. Leur estomac c’est leur feuille, elle se nourrit dans l’atmosphère où elle va prélever 94 % de sa matière sèche grâce à la photosynthèse.

Quand les marchands racontent que sans engrais on va mourir de faim, ils se foutent de votre gueule puisque 94 % de la matière sèche d’une plante provient de l’atmosphère. Il faut arrêter de mentir aux agriculteurs. C’est une honte qu’il y ait des problèmes alimentaires dans les pays tropicaux où il y a beaucoup de soleil, beaucoup d’eau, beaucoup de photosynthèse, beaucoup de biomasse et les plus grosses forêts du monde.

Voie de la photosynthèse

Comment fait la feuille pour se nourrir ? Elle prélève trois atomes dans l’atmosphère : le carbone, l’oxygène et l’hydrogène. Au niveau de sa feuille, la chlorophylle, qui est une enzyme est capable de transformer le carbone, le gaz carbonique de l’atmosphère en sucre. Les plantes vont prendre le carbone qui représente 44 % de leur poids et l’oxygène 44 % à partir du gaz carbonique et par cette réaction qu’on appelle la photosynthèse elles vont le transformer en sucre C6H12O6.

L’hydrogène qui est l’atome le plus abondant de la planète est le aussi le plus léger. Il ne va représenter que 6% du poids du composé alors qu’il y a deux fois plus d’atomes d’hydrogène que d’atome de carbone et d’oxygène. L’hydrogène va venir de l’eau de pluie au niveau de la feuille où il va se photodécomposer et s’intégrer dans les sucres et de l’oxygène que nous allons respirer. Le grand rêve de tous les ingénieurs qui veulent faire de l’énergie est de pouvoir, comme les plantes, ouvrir la molécule d’eau et faire de l’hydrogène.

La photosynthèse c’est donc : gaz carbonique + eau de pluie donne oxygène + sucre. Nous quand nous mangeons des aliments nous faisons la réaction inverse de la photosynthèse, nous ingérons les sucres ce qui va nous donner de l’énergie et nous dégageons du gaz carbonique, nous urinons et cette urine repartira dans l’atmosphère retombera dans les champs. C’est pourquoi les paysans sont si attentifs à la météo.

NPK : azote, phosphore, potassium

La quantité de gaz carbonique a considérablement augmenté depuis le début du XXe siècle, on pourrait en attendre une forte augmentation des rendements sur la planète, mais ce n’est pas ce qu’on observe. Ce n’est pas par manque de gaz carbonique que les rendements stagnent, mais parce que les sols sont morts : 94% du poids des plantes vient de l’atmosphère par la photosynthèse.

Le sol lui ne fournit que 6% du poids des plantes. La quantité provient de l’atmosphère mais la qualité, c’est le sol. L’atmosphère fournit 3 atomes à la plante. Le sol lui fournit 24 atomes et c’est cela que les agriculteurs ne donnent pas à la plante. Les agriculteurs apportent N, P, K. N : azote, P : phosphore, K : potassium. (N vient de l’anglais nitrogène, K de l’allemand Kalium, le Na pour azote vient de l’allemand natrium).

Importance des oligo-éléments et des enzymes

Dans le sol la plante prélève très peu seulement 6 % de sa matière sèche, mais elle prélève 23 atomes qui vont donner à la plante ses qualités nutritives et gustatives.

La plante ne se nourrit pas seulement d’azote, de phosphore et de potassium. Elle se nourrit énormément d’oligo-éléments. Les aliments produits hors sol n’ont pas de goût à cause de ce régime. Les arômes et les saveurs proviennent de la synthèse biochimique des enzymes. Les enzymes sont des protéines qui ont un cofacteur qui est un métal. Il existe des enzymes à manganèse, des enzymes à sodium, à zinc, à sélénium... et ce métal va permettre de faire la réaction souvent extrêmement complexe à température ordinaire, alors qu’en laboratoire on est obligé d’utiliser des artifices compliqués, de chauffer.

Notre corps se fabrique à température ordinaire grâce à des enzymes. Toutes les enzymes ont des cofacteurs métalliques. En retirant ces oligo-éléments, vous n’avez plus aucun goût et vous obtenez aussi des aliments sans oligo-éléments. 41% des Européens sont carencés en sélénium, cofacteur d’une enzyme qui protège contre le cancer et que contient en forte densité le choux, lorsqu’il est cultivé dans un sol vivant. Pour arriver à rendre appétissant les aliments cuisinés à la base sans saveurs, on y ajoute des glutamates qui sont des appétants.

Réparer les sols détruits

Heureusement on peut réparer des sols détruits. Le principe c’est que les plantes n’ont pas besoin d’engrais chimiques mais de carbone. Le drame des sols de cette planète c’est qu’ils n’ont plus de carbone. Il faut donc remettre du carbone dedans.

Apporter du carbone

Sur des petites surfaces on peut mettre du carbone directement en surface, jamais enfouie. Ça peut être de l’humus, ça peut être du compost. Si le sol est terriblement détruit la meilleure solution est « l’arbre » sous forme de bois raméal fragmenté qui permet de remettre de la lignine, sur le sol, surtout pas en dessous.

Puissance des bactéries

Dans les sols complètement ruinés de zone sahélienne, et dans ceux des pays tropicaux, lorsque vous coupez la végétation et détruisez le sol vous entraînez un phénomène très particulier : une fois que vous n’avez plus ou très peu de matière organique – 0,1 à 0,2 % –, vous changez de micro flore et générez des bactéricides qui fabriquent du métal, ces bactéries transforment l’aluminium et le fer du sol en latérite, elles fabriquent littéralement une croûte métallique qu’on ne peut détruire qu’au marteau piqueur.

En utilisant du BRF vous changez la micro flore et en deux ans, les bactéries changent de modes d’action et la terre redevient souple. Ce qui est remarquable est que les microbes ont une énergie tellement forte qu’elles sont capables d’inverser les processus de latérisation. Si vous travaillez correctement avec les bactéries, d’un sol mort vous faites renaître un sol vivant. Microbes et bactéries sont puissants, il ne faut pas faire n’importe quoi avec.

Une expérience malheureuse démontre cette puissance des bactéries. Un milliardaire américain a fait une grande serre dans le Texas pour y faire vivre une communauté en autonomie complète vis-à-vis de l’environnement extérieur, ils ont pensé à tout sauf au sol. L’expérience a tourné court très vite, car pour absorber la puissance biochimique d’un sol il faut soixante-dix kilomètres d’atmosphère. Dans cette sphère autonome, les microbes ont tout pris pour eux et les humains ont dû très vite quitter cet « éden » chimérique. Les microbes sont beaucoup plus puissants qu’on ne le croit et il faut un énorme tampon atmosphérique pour en amortir la puissance biochimique.

Arrêter le labour

Pour les grandes surfaces, la solution est d’arrêter le labour. Mais là on se confronte au mythe de la vertu du labour ancré dans la psychologie profonde de la plupart des agriculteurs : « labourage et pâturages sont les mamelles de la France ». Dissoudre ce mythe fondateur qu’on retrouve même dans la bible n’est pas une mince affaire. Il s’agit de renoncer à vouloir relever le défi de la malédiction divine consécutif à l’éviction du jardin d’Éden, et à la punition de l’homme condamné à gagner son pain à la sueur de son front.

Le céréalier a souvent chez lui un trophée en bronze d’un concours de labour. Quand vous allez à l’agro de Grignan vous avez un illustre inconnu en bronze au-dessus de la maxime : « jamais un labour n’est trop profond ». Pour l’agriculteur, arrêter le labour est vraiment compliqué. Renoncer au labour est un choc psychologique. Vous heurtez à un mythe. On n’a jamais augmenté un rendement avec le labour. Il ne s’agit pas là d’agronomie mais de psychologie. Le mythe du labour est fondateur de l’activité agricole dans notre culture. Pour l’agriculteur, c’est un honneur d’avoir relevé le défi de la malédiction divine. Alors quand vous lui dites : « c’est fini, on ne laboure plus », il entend qu’on lui propose de faire un truc de paresseux, qu’on ne va plus toucher à la terre du tout. Vous vous heurtez à un problème identitaire extrêmement profond.

L’agriculteur occidental considère que c’est à lui et à personne d’autre de défoncer la terre. Semer directement sans labourer le plonge dans un désarroi, parce qu’avec le semi direct, il se figure que les choses vont lui échapper : la terre va devenir sauvage, et on ne pourra plus la contrôler. Or il faut avoir le contrôle sur tout, tout contrôler. La nature doit être bien guidée, contrôlée dans des parcs nationaux. Il est hors de question qu’il y ait la moindre portion d’espace sauvage. Il faut que l’homme contrôle tout.

La terre est féminine, et il est très difficile d’accepter qu’elle soit par elle-même vivante et fertile. Renoncer au viril viol de la terre et faire ce que veut la nature est un renversement de paradigme. Au lieu de labourer le sol on va y mettre des plantes et semer dans ces plantes qui vont créer le milieu favorable dans lequel les plantes que nous voulons vont pouvoir germer.

Réparation de sols malgaches

L’intérêt de ces techniques c’est qu’elles sont utilisables dans le monde entier pour les petits comme les gros agriculteurs. À Madagascar où les sols étaient complètement ruinés, on trouve une érosion très typique des sols de cette île : les lavakas. Vous avez l’impression qu’une énorme machine a donné des grands coups de griffe sur les collines. Toute la terre s’en va, les rivières deviennent orange et les gens disent que la « terre saigne ». Vous êtes sur des zones où il n’y a plus un habitant depuis cinquante ans.

Lavakas malgaches

Sur ces zones ruinées pousse une plante locale – l’Aristida – qui tente tant bien que mal de couvrir le sol. On apprend aux paysans malgaches à faucher cette plante. Le fauchage ne fait pas partie de leurs pratiques habituelles. On fauche donc l’Aristida ; on la laisse sur le sol sous forme de mulch, et avec un instrument bricolé qu’on appelle tico-tico, on plante le riz directement à travers le mulch. Et le riz pousse dans un milieu complètement ruiné. En mettant tout simplement le mulch on a éviter une chose toute bête c’est empêcher le sol de monter en température.

Aristida multicaulis

Un sol nu en zone tropicale monte facilement à 52 – 54 degrés. La température de pasteurisation est 41 degrés, à cette température vous tuez la vie. Or, la couverture par un mulch permet de ne pas dépasser 28 degrés. A cette température la vie repart, on a créé un milieu favorable aux microbes ; les microbes nourrissent le riz et le riz pousse. On met juste un petit peu d’azote pour réamorcer le processus de croissance végétale.

Haricots cultivé en semis direct

Le deuxième mythe auquel il faut s’attaquer est celui du feu. Depuis que l’être humain a inventé le feu, il veut le mettre partout. Il ne faut surtout pas brûler les pailles. On apprend donc aux paysans malgaches à ne pas brûler la paille de riz et a suivre l’adage paysan « le grain est pour l’homme, la paille pour le sol ». La paille de riz est directement posée sur le sol, et dans ce paillage, on peut faire pousser du manioc.

Pas de labour, le sol est toujours couvert, les microbes peuvent travailler et année après année le taux de matières organiques remonte et des familles peuvent se réinstaller sur les collines.

Aucune situation n’est désespérée. Il faut juste reprendre le sol, non pas en le violant mais en respectant son fonctionnement. Et ce n’est pas si compliqué que ça.

Réparation de sols brésiliens

Les grands agriculteurs brésiliens détruisent la forêt ; les plus beaux arbres sont cédés aux compagnies européennes et les moins beaux vont aux Brésiliens. Avec les moyens techniques actuels, les défricheurs peuvent abattre soixante hectares par jour. Après abattage, le feu est mis à la couverture restante, toute la matière organique est brûlée. En très peu d’années, le sol est ruiné.

Dans un climat tempéré comme le notre, la moitié du carbone est dans le sol, l’autre moitié dans la forêt, dans les zones équatoriales 5% du carbone est dans le sol et 95% dans les arbres.

Presque tout le carbone est dans la forêt et presque rien le sol. Pourquoi ? Comme il pleut plusieurs mètres d’eau par an et qu’il fait une chaleur pas possible, tout se minéralise très vite. Alors la nature ne laisse rien dans le sol, elle n’est pas folle. Elle sait que tout ce qui va être laissé dans le sol va être lessivé. Dès qu’une feuille tombe dans le sol, la faune la dévore, la digère et sa matière organique repart dans le cycle du vivant. Les agronomes ont dit que les sols équatoriaux sont les plus pauvres du monde quand ils ont mesuré sa composition. Phosphore et potasse indécelables à l’analyse, calcium 3 ou 4 ppm, magnésium 1 ppm. C’est vrai qu’il n’y a rien mais en même temps, les arbres mesurent 80 mètres de haut ; les agronomes ont stupidement oublié que ce n’était pas dans le sol qu’il fallait mesurer mais dans la forêt. Quand vous analysez la composition des arbres,, il y a des tonnes de potasse, de phosphore, d’azote… Ils se sont juste trompés de lieu de prise de mesure et de support d’analyse.

Quand un propriétaire terrien de 10 000 ha a ses sols ruinés, le mulch n’est pas la solution. Heureusement sur la planète, il y a 350.000 espèces de plantes et parmi ces plantes, il y a les espèces pionnières qui poussent sur les sols complètement flingués. Sur ces sols poussent plusieurs variétés de Brachiaria. On les sème avec des semoirs à disques, et c’est dans cette végétation qu’on va installer les cultures. On utilise un rouleau faca (à couteaux) pour écraser la Brachiaria qu’on a semée et on sème directement le maïs dans ce couvert de Brachiaria écrasé avec un semoir à disque qui fend le mulch et dépose les graines. Le maïs ou le coton pousse ainsi sur 5 cm de sol recouvert de mulch.

Brachiaria

Avec ce système le Brésil a les meilleurs rendements du monde avec 5,6 t/ha alors que les meilleurs champs américains produisent 2,4 t/ha, et alors que les agronomes disaient que le cotons ne pouvaient pas poussé en zone tropicale du fait de la levée des mauvaises herbes et de l’absence d’herbicide spécifique qui d’ailleurs fait de la culture du coton la culture la plus polluante du monde et participe à la fortune de Monsanto.

Réparation de sols gersois

Dans le Gers, où on trouve des limons extrêmement érodés avec des argiles qui sont partis en fonds de colline on procède de façon similaire, on installe une culture de plantes gélives. Il est intéressant d’utiliser un rouleau faca qui écrase le couvert végétal, mais on peut ans passer à la limite s’en passer car le gel va tuer la plante qui donnera à manger au blé. Vous voyez qu’on est dans des modèles qui n’ont plus rien à voir avec le labour classique. Le semoir à disque fend la terre dépose la graine et referme le sillon. La graine est posée sur la terre, au-dessus d’elle il y a le mulch, elle est sans contact avec la matière organique et de ce fait il n’y a pas de faim d’azote, elle est à l’abris des aléas du climat, de la pluie qui tombe sur le mulch, de l’érosion. Très vite l’activité biologique remonte. Cette technique est spectaculaire dans les sols sableux.

Avec les agriculteurs trop anxieux, on utilise les TCS les « techniques culturales simplifiées », que j’appelle personnellement « techniques compliquées de semis ». Ces TCS consistent à remuer superficiellement les sols avec la paille. Les agriculteurs anxieux remuent la terre et ça les tranquillise. Mais c’est moins productif parce qu’en remuant la terre paillée vous créez une soif azotée, et les graines ont plus de mal à germer.

On a commencé comme ça avec le premier agriculteur avec lequel on a travaillé en 1992, avant de le faire passer en semis direct en 2000. Si on compare la courbe d’activité biologique du sol avec ce système avec celle d’un sol labouré qui est désespérément plate. On voit qu’elle est passée de zéro à cent cinquante et celle-ci a explosé après le passage au semis direct pour atteindre 620. Il ne met plus de potasse, de phosphore, plus rien. Il est passé de 85 quintaux de blé en utilisant 200 unités d’azote par quintal, à 95 quintaux de blé avec 110 unités d’azote et mon but est de ne pas lui faire dépasser 80 unités d’azote par quintal. A ce seuil il n’y a plus aucune pollution. Et avec un sol parfaitement vivant une unité d’azote par quintal suffit. Le problème c’est que cela implique une évolution des agriculteurs qui n’est pas évidente.

L’usage du Bois Raméal Fragmenté (BRF)

Si vous êtes sur des sols complètement ruinés, que vous avez par exemple acheté un pavillon Bouigue, où la terre végétale a été enlevée pour être revendue, et vous vous retrouvez sur un tas de cailloux dont vous voulez faire un jardin. Si vous ne rappelez pas celui qui vous a volé la terre, vous avez la possibilité de fabriquer de la terre.

Une expérience a été réalisée sur le causse argilo-calcaire du Quercy, Ce causse était autrefois une région très riche. Cahors était la première ville financière de France au Moyen-âge, mais le sol du causse a été complètement ruiné et abandonné par l’homme. Le peu de végétation qui pousse est herbe rase. On a épandu une couche de bois raméal fragmenté. Quand on épand cette couche carbonée directement sur le sol elle va rapidement se recouvrir de basidiomycètes, de champignons.

Causse du Quercy

Selon l’état de votre sol, vous mettez une couche de 2 à 8 cm pour les sols les plus dégradés. Les mycéliums vont complètement envahir le bois raméal fragmenté et vont tellement bien le soutenir que vous pourrez en soulever la couche comme une moquette. Les champignons vont transformer tout ce bois en humus et à partir du moment ou vous aurez cet humus, le complexe argilo-humique va se constituer, la faune des collemboles, acariens, vers de terre… va revenir et vous pouvez semer directement dans cet humus.

En relançant le système biologique, vous pouvez reverdir une colline. Comme les champignons possèdent des aquaporines, des protéines qui permettent de retenir l’eau, le sol n’est jamais sec, les champignons sont les grands gestionnaires de l’eau. En permettant la croissance des champignons, vous retenez l’eau. L’année suivante on a semé un seigle et maintenant on plante une vigne. En un an on est passé d’une activité biologique de 80 à 600. Là où sur le sol nu vous monté à 35 degrés, sous le BRF vous êtes à 26 degrés, et à l’intérieur du sol vous avez des températures qui se stabilisent pendant la journée. Vous ne chauffez pas votre sol ; vous retenez son humidité ; l’activité biologique se remet en route.

La première expérimentation à petite échelle de l’amendement des sols agricoles avec des drêches de conifères après extraction des huiles essentielles s’est déroulée au début des années 70. La production de ces dernières laisse à l’usine une masse considérable de résidus fragmentés riche en nutriments mais sans débouchés. Suite à une rencontre avec un agriculteur aux prises avec des problèmes de sécheresse dans son champ de blé, des copeaux de bois raméal à l’état frais, furent appliqués en paillis sur une partie des champs de cet agriculteur. Non seulement le blé échappa à la sécheresse, mais la production doubla. La partie non amendée sécha sur place.

De l’usage du compost

« Le compost, est pour la terre, ce n’est pas pour la plante. Cette idée est très difficile à faire accepter. L’agriculteur, le vigneron, s’il met du fertilisant, c’est pour avoir un rendement. Parfois des personnes nous envoient du « compost » en bouchon et nous demande de l’analyser. Du point de vue chimique, cette matière est parfaite, mais du point de vue biologique, elle est morte, il n’y a ni microbes ni bestioles car elle a été stérilisée. Il s’agit d’un fertilisant, mais pas d’un véritable compost. »
(Lydia Bourguignon Solution locales...)

« La fumure organique doit être épandue en surface (mulch) et cela d’autant plus qu’elle est fraîche. Enfouir du compost frais dans le sol, donnera des poisons réducteurs : de l’ammoniaque au lieu du nitrate, du phosphore d’hydrogène au lieu des phosphates, des sulfites au lieu des sulfates… ce sont des poisons qui affaiblissent la vie microbienne et les cultures, c’est ainsi que l’on récolte des parasites. Si les plantes sont malades c’est qu’elles sont mal nourries, et ce sont les microbes qui nourrissent les plantes. » (Marc Bonfils)

« Quand j’ajoute un compost, j’ajoute un fertilisant qui est prédigéré et qui va alimenter plus ou moins vite les bactéries selon la nature du processus qui la produit. Le compost de déchet vert est le produit d’une cuisson. Quand je produis une tonne de compost, la combustion et la stérilisation de la matière organique par des bactéries qui travaillent à chaud produit littéralement un charbon végétal. Ce processus a envoyé (sous forme de méthane, dont l’effet de serre est 21 fois à l’oxyde de carbone) l’équivalent de 0,8 tonne de CO2 dans l’air. J’ai dissipé du CO2, du CH4 et libéré dans l’air une de pollution énorme et ce faisant j’ai perdu la lignine qui aurait été la nourriture des champignons qui agissent à la première étape de digestion de la matière carbonée et auraient fait un super humus ; j’ai supprimé la nourriture qui permet de produire l’azote par digestion de la cellulose et de la lignine. Ce que j’apporte c’est un charbon qui pour être minéralisé exige des bactéries un travail beaucoup plus important et plus long. D’où l’inefficacité quasi-totale des composts. Le compost n’est pas totalement inutile mais les pertes qu’il engendre le rendent peu intéressant à ce niveau. (Son intérêt, limité dans le temps et dans sa fonction, qui sera développée plus loin, tient à sa propriété fertilisante lorsqu’il est utilisé en fine couche pour la levée des semis). »
(Konrad Schreiber)

L’agriculture industrielle détruit la biodiversité, elle a réduit notre alimentation de base à 5 ou 6 variétés, alors que nous cultivions 8500 variétés et que chaque fermier indien cultivait 250 variétés végétales. C’est une forme nouvelle de pauvreté. Cette disjonction entre une fausse intelligence que je qualifierais d’intelligence « masculiniste », vient de cette volonté de dominer la nature, de détruire l’ensemble des connaissance ancestrale parce qu’elle nous venaient de nos mères et de nos grand-mères. C’est une manière d’agir stupide choisie par des gens qui se croient très malins.

Je terminerai en disant qu’il faut respecté le sol. C’est une ressource limitée. Le propre de la civilisation est de se limiter. Nous sommes en pleine barbarie parce que nous n’avons pas de limite. Le sol vivant à ses lois propres. Vous pouvez violer les lois humaine mais pas les lois naturelles de la vie. Nous provoquons du désordre, nous créons de l’entropie comme disent les dynamiciens. Le sol contient 90% de la biodiversité il est essentiel de la préserver. Je vous remercie.

Mis en ligne par La vie re-belle
 31/08/2019
 http://lavierebelle.org/l-air-l-eau-et-le-sol

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