Comment recréer des variétés végétales résistantes aux maladies et tolérantes au stress hydrique

La fragilité de la plupart des légumes, des céréales et des fruits cultivés contraste de manière cruelle pour le jardinier avec la vigueur des plantes qui poussent spontanément dans son jardin, dès qu’il cesse de désherber la parcelle qu’il tente de contrôler. Ces plantes qui poussent toute seules sont généralement appelées « mauvaises herbes ». Elles sont affublées de ce qualificatif désobligeant pour le simple fait qu’elles poussent où elles veulent sans tenir compte de ce que l’homme planifie. Parler de mauvaises herbes est particulièrement inapproprié car la fonction de ces adventices est de protéger et de réparer les sols. De plus, ces plantes spontanées sont souvent non seulement médicinales pour le sol mais aussi pour les humains, en outre nombre d’entre elles sont comestibles. En les détruisant sans discernement, nous détruisons donc à la fois des médicaments et de la nourriture gratuite et à disposition sans le moindre effort.

Ces plantes qui se passent de jardinier pour exister ont beaucoup à nous apprendre sur le sol où elles s’épanouissent grâce à leurs potentiel bio-indicateur. Elle ont sans doute également beaucoup à nous apprendre en matière de jardinage. C’est en tout cas le pari qu’à fait , un producteur de semences iconoclaste qui vit et cultive près de Lodève en France dans une région peu favorable au maraîchage. Ses réflexions et son expérience méritent d’être connues et méditées, car elles pourraient inspirer des pratiques agricoles plus résilientes, notamment dans les régions où les conditions de culture sont difficiles notamment du fait d’un manque d’eau.

Pascal Poot

« Je me suis toujours dit que si les plantes qu’on appelle mauvaises herbes sont si résistantes aujourd’hui c’est justement parce que personne ne s’en est occupé depuis des générations et des générations.

Tout le monde essaye de cultiver les légumes en les protégeant le plus possible, moi au contraire j’essaye de les encourager à se défendre eux-mêmes. J’ai commencé à planter des tomates sur ce terrain plein de cailloux il y a une vingtaine d’années, à l’époque il n’y avait pas une goutte d’eau.

Tout le monde pense que si on fait ça toutes les plantes meurent mais ce n’est pas vrai. En fait, presque tous les plants survivent. Par contre on obtient de toutes petites tomates, ridicules. Il faut récolter les graines du fruit et les semer l’année suivante. Là on commence à voir de vraies tomates, on peut en avoir 1 ou 2 kg par plant.

Et si on attend encore un an ou deux, alors là c’est formidable. Au début on m’a pris pour un fou mais au bout d’un moment, les voisins ont vu que j’avais plus de tomates qu’eux, et jamais de mildiou, en plus, alors les gens ont commencé à parler et des chercheurs sont venus me voir. »

Dans son conservatoire, Pascal Poot, cultive plus de 400 variétés de tomates et 150 variétés d’autres légumes

Interpelés par l’expérience de Pascal Poot, des chercheurs, ont donc étudié ses pratiques. L’un d’entre eux, le biologiste et généticien des plantes Robert Ali Brac de La Perrière, écrit :

« A la fin des années 90, au moment du combat contre les OGM, on s’est dit qu’il fallait aussi travailler sur les alternatives, et on a commencé à faire l’inventaire des agriculteurs qui faisaient leurs propres semences. On a dû en trouver entre 100 et 150 en France. Mais le cas de Pascal Poot était unique. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il a une grande indépendance d’esprit, il suit ses propres règles et à ma connaissance personne ne fait comme lui. Il sélectionne ses semences dans un contexte de difficulté et de stress pour la plante, ce qui les rend extrêmement tolérantes, améliore leur qualité gustative et fait qu’elles sont plus concentrées en nutriment. En plus de ça il cultive plusieurs centaines de variétés différentes, peu d’agriculteurs ont une connaissance aussi vaste de l’espèce qu’ils cultivent. »

Les chercheurs ont cherché à comprendre les mécanismes biologiques qui expliquent le succès de la méthode de Pascal Poot. Véronique Chable, biologiste, docteur en génétique végétale et agronomie, ingénieure de recherche à l’Inrae (Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) de Rennes, qui a mené des recherche sur les sélections de Pascal Poot depuis 2004, explique :

« Le principe de base, est de mettre la plante dans les conditions dans lesquelles on a envie qu’elle pousse. On l’a oublié, mais ça a longtemps fait partie du bon sens paysan. Aujourd’hui, on appelle cela l’hérédité des caractères acquis, en clair il y a une transmission des réponses aux stress et des caractères positifs des plantes sur plusieurs générations. »

L’étude de ces phénomène est le domaine de l’épigénétique qui étudie les changements dans les organismes causés par la modification de l’expression des gènes plutôt que par l’altération du code génétique lui-même.

« Il faut comprendre que l’ADN est un support d’information très plastique, il n’y a pas que la mutation génétique qui entraîne les changements, il y a aussi l’adaptation, avec par exemple des gènes qui sont éteints mais qui peuvent se réveiller. La plante fait ses graines après avoir vécu son cycle, donc elle conserve certains aspects acquis. Pascal Poot exploite ça extrêmement bien, ses plantes ne sont pas très différentes des autres au niveau génétique mais elles ont une capacité d’adaptation impressionnante.

Le fait que les semences de Pascal Poot soient adaptées à un terroir difficile fait qu’elles ont une capacité d’adaptation énorme, pour toutes les régions et les climats. Nous n’avons pas les moyens de faire ce genre de tests mais je suis sûr que si on faisait un test entre une variété hybride, celle de Pascal Poot et une semence bio classique ce serait celles de Pascal Poot qui obtiendraient les meilleurs résultats. »

Le travail de sélection des semences montre qu’on peut pousser le végétal à s’adapter à des conditions impressionnantes. Mais l’agriculture moderne a perdu ça de vue, elle ne repose pas du tout sur la capacité d’adaptation. Or dans un contexte de changement rapide du climat et de l’environnement c’est quelque chose dont le monde agricole va avoir besoin.

Il va falloir réapprendre à produire produire des plantes vivrières résistantes, préserver et diffuser leurs semences et les savoir-faire associés à ces pratiques.

Tout jardinier peut reprendre les principes mis en œuvre par Pascal Poot. Pour cela, il faut :

- dédier une partie de sa parcelle à la production de variétés résistantes adaptées à son contexte de culture ;

- préparer ses semis en utilisant des variétés de graines paysannes que l’on souhaite adapter à son terroir. Ces semences dites encore de pays ou anciennes, sont celles que les agriculteurs prélèvent dans leurs récolte en vue d’un semis ultérieur par opposition aux semences produite par l’industrie semencière qui sont des graines « hybrides ». Ce type de graines créées pour donner une graine très productive si elle est cultivées dans des conditions standard souvent en association avec des fertilisants et des pesticides, donnent une production bien moindre si elle est replantée à la saison suivante, ce qui contraint les agriculteurs à racheter chaque année de nouvelles graines hybrides pour s’assurer une récolte optimale.

- installer les plants dans le ou les espaces dédiés à l’acclimatation des plantes. Les plants sont arrosés lors de leur mise en terre, puis on laisse la plante se débrouiller seule contre le manque d’eau et les maladies.

- récolter les fruits des plants qui ont survécu. À cette étape, l’important est de procéder à cueillette le plus tard possible pour récolter des fruits qui auront survécu à la plus grande variété de stress (sécheresse, pluie, froid…). Le fruit doit certes être à maturité pour que les graines soient viables, mais il doit aussi être resté sur le pied le plus longtemps possible.

- respecter les meilleurs protocoles de récolte et de conservation des graines.

- réitérer l’opération plusieurs fois de suite avec les graines récoltées

Au bout de quelques saisons les plantes issues des graines sélectionnées deviendront résistantes et adaptées à leur milieu (climat, sol, agents pathogènes locaux...) en activant leur potentiel génétique adaptatif.

Le plant mère ayant supporté une variété de contextes stressant, les graines alors produites seront bien plus vigoureuses et auront eu le temps de développer le matériel génétique nécessaire pour survivre l’année suivante à toutes ces conditions. Certains gènes contenus dans l’ADN de ces variétés ’endormis’ au fil du temps car ils n’étaient plus utiles, dans les conditions habituellement en cours où les plantes ont surprotégée et sous perfusions constantes de produits phytosanitaires comme les engrais ou les pesticides.

Le processus mis en jeu est appelé « acclimatation épigénétique en condition de stress ». Ce type de mobilisation du patrimoine génétique est une modalité d’évolution ou d’adaptation d’urgence allant plus vite que les évolutions génétiques au hasard quand le milieu change brutalement. Il s’appuie non sur le « contenu » des gènes, mais sur leur degré d’utilisation ou de non utilisation, ouvrant un large éventail de phénotypes possibles pour un même génotype d’origine, dont le plus efficient est conservé de manière réversible sur plusieurs générations.

Aubergines du conservatoire de Pascal Poot

Dans un contexte ou la plante n’est pas l’objet d’une assistance permanente, celle-ci va explorer plus profondément le sol et va développer plus de relations symbiotiques avec les mycorhizes qui y sont présentes.

Le fait que Pascal Poot ne travaille pas le sol et n’utilise pas d’intrants azotés de synthèse, mais seulement des amendements à base de rameaux de bois fragmentés et de fumier d’ovins-caprins-bovins-équins favorise le développement des symbioses entre plantes, mycorhizes et bactéries du sol.

La démarche de Pascal Poot est à rebours, de celle de celles des maraîchers, qui bichonnent leurs légumes en les arrosant régulièrement et en les boostant de fertilisants. Du fait de cette attention quotidienne, les plantes ne sont aucunement encouragées à développer des symbioses ou un système racinaire puissant pour aller chercher l’eau et les ressources en nutriments acides aminés oligo-éléments en profondeur. De ce fait, les plantes sous assistance hydrique ont une faible capacité à résister et il faut en conséquence continuer à les arroser et très régulièrement pour pouvoir les tenir ; à la moindre interruption de l’arrosage, les plantes flétrissent aussitôt.

Mennade El Amine SEBAR, auteur d’une thèse sur la permaculture témoigne de la vigueur des plantes issues des graines de Pascal Poot : « C’est avec ses graines que j’ai travaillé. Ses plants sont solides, leurs feuilles gardent leur vigueur durant tout l’été et ne flétrissent pas, rien à voir avec les tomates standards que la mairie livre gratuitement aux associations de jardinage par exemple. »

La voie que Pascal Poot invite à prendre est celle du réensauvagement des légumes domestiqués et des sols pour qu’ils développent de nouveau leurs potentiel endormi de résilience. Pourquoi ne pas l’explorer ?

Pour aller plus loin :

- Reportage d’Arte sur les pratiques de Pascal Poot

- Site de Pascal Poot « Le potager de santé »

Sur la problématique des semences

Julie Hermesse, Corentin Hecquet et Pierre M. Stassart, « Verrouillage du système semencier et enjeux de sa réappropriation », Études rurales, 202 | 2018 Les semences
https://journals.openedition.org/etudesrurales/14909
Christine Frison, « Mal traitée, la biodiversité agricole ? Six principes invariables pour un commun global des semences » (Is agricultural biodiversity poorly treated ? : Six invariable principles for a “global commons of seeds”)
https://journals.openedition.org/etudesrurales/14909
Véronique Chable, « Pour soutenir la diversification de l’alimentation en invitant à changer de regard sur le vivant », Pour 2018/2-3 (N° 234-235), pages 63 à 72
https://www.cairn.info/revue-pour-2018-2-page-63.htm
Stephanie Klaedtke, François Mélard, Véronique Chable et Pierre M. Stassart, « Les artisans semenciers, les haricots et leurs agents pathogènes. La biodiversité cultivée et la santé des plantes au cœur d’une identité professionnelle », Études rurales, 202 | 2018 Les semences
https://journals.openedition.org/etudesrurales/14930

Collectif, « Les semences, Approche multidimensionnelle de la biodiversité cultivée » Études rurales, 202 | 2018
https://journals.openedition.org/etudesrurales/14008

Mis en ligne par La vie re-belle
 25/03/2022
 https://lavierebelle.org/comment-recreer-des-varietes
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