Introduction aux techniques traditionnelles de gestion et de recueil des eaux de pluie

Cultiver l’eau

Dès les débuts de l’agriculture, les cultivateurs, et plus particulièrement ceux des zones arides ont cherché à mettre au point des techniques permettant de recueillir les eaux de ruissellement sur les pentes, pour les diriger vers les zones de culture et faciliter leur infiltration près des racines des plantes cultivées ou pour les ou diriger vers des réservoirs.

Les techniques traditionnelles très diversifiées de collecte des précipitations et des eaux de ruissellement (rainwater harvesting) méritent d’être connues, car elles sont mises en œuvre avec les ressources locales du milieu et elles sont maîtrisables par les communautés. Leur pertinence a pu être évaluée sur la très longue durée, et leur efficience mesurée plus récemment par des méthodes scientifiques.

Cultiver l’eau

Introduction aux techniques traditionnelles de gestion et de recueil des eaux de pluie

Techniques traditionnelles de gestion et de recueil des eaux de pluie

L’archéologie a exhumé des vestiges de dispositifs de collecte et de gestion de l’eau de pluie en Chine au Moyen-Orient, en Amérique. Une partie des savoirs antiques en matière d’hydraulique s’est perdue, mais de nombreux savoir-faire anciens restent vivaces notamment en Afghanistan, Australie, Botswana, Burkina Faso, Égypte, Inde, Iran, Israël, Kenya, Mexique, Mali, Niger, Pakistan (désert du Thar), Palestine, Soudan et dans la vallée du Nil avant la construction du barrage d’Assouan.

Dans les Andes péruviennes, la réhabilitation des aménagements pré-incas et incas permet de remettre en culture des terres qui avaient été délaissées, et de pourvoir les communautés en eau douce.

Des habitants du village de Huamantanga, dans les Andes péruviennes, réhabilitent et entretiennent les amunas, canaux vieux de 1400 ans, qui collectent, préservent et rendent l’eau disponible pendant la longue saison sèche.

Au Sahel, les techniques « traditionnelles » des lignes et cordons de pierre et de culture en fosse irriguées par de petits impluviums, un temps tombées en désuétude redeviennent populaires et permettent de réhabiliter des terres devenues stériles ; l’association du patrimoine de techniques locales et celles issues du patrimoine de connaissances en matière d’aménagement bocager permet de reverdir des zones arides.

Bocage sahélien

Mobiliser des savoirs et des savoir-faire anciens pourrait donc contribuer à mettre en œuvre des dynamiques de régénération des milieux dégradés.

Parmi ces aménagements on peut distinguer :

des dispositifs filtrants dont la fonction est de ralentir et étaler les eaux de ruissellement : lignes et cordons de pierres ou de végétaux, fascines, diguettes, murets filtrants...

des obstacles et des « pièges » rétenteurs qui ne se contentent pas de freiner les ruissellements, mais les retiennent, les concentrent et les contraignent à s’infiltrer : digues de terres, de sables et de pierres, renforcées de haies vives ; jessour tunisien, système fanya juu du Kenya, jardins en gaufre hopi, jardins ôno ou ôgo en damiers des Dogons du Mali, fossés, noues et baissières

des aménagements en terrasses très diversifiés selon les pentes, les climats, les modes de cultures : pluviales avec les terrasses en pierres du pays konso sur les hauts plateaux d’Éthiopie et les terrasses mofu sur les monts Mandara au Cameroun ; irriguées avec les andenes incas ; inondées avec les rizières en palier en Asie…

des designs comprenant un impluvium (zone de captage) et une zone de réception et concentration des eaux. Parmi ces aménagements peuvent être distingués :

◦ des modèles à petits impluviums : (wégou, zaï, tassa, demi-lune… du Sahel ; ngoro des Matengo de Tanzanie ; teras et negarim du Proche-Orient ; gawan de somalie…

◦ et des modèles à larges impluviums : tabiâ tunisiens ; système d’irrigation liman en Palestine et Israël ; khadin du Rajasthan…

des réseaux d’acheminement de l’eau dans les zones cultivées ou habitées : qanats perses ; foggaras algériens, khettaras marocains et faljs du sultanat d’Oman ; amunas préincas et puquios incas ; acequias arabo-andalouses diffusées dans les anciennes colonies espagnoles…

Tous ces aménagements ont été conçues pour assurer trois fonctions :

• recueillir des eaux de pluie

• guider les ruissellements et les acheminer jusqu’aux endroits cultivés et habités par les humains

• stocker l’eau dans le sol ou dans des réserves

La plupart de ces aménagements ne sont seulement des dispositifs de « gestion » de l’eau, mais aussi de lutte contre l’érosion et de préservation des sols et de leur fertilité. Ils ont été développés par des sociétés agraires qui en abattant les forêts et en mettant en cultures les espaces défrichés ont généré des milieux qui tendent vers la désertification. En effet, dès que les sols ne sont plus protégés par leur « peau » végétale que sont les forêts et les prairies naturelles, dès qu’ils sont mis à nu et à vif, ils sont directement soumis aux rigueurs de l’impact des précipitations et des vents qui les emportent par érosion. Pour contrer les processus d’érosion hydrique et éolienne, qu’ils ont générés, les humains sont astreints à un inlassable labeur pour l’enrayer. Ils doivent composer avec des milieux fragilisés et inventer des dispositifs qui préservent leur habitabilité. En Europe, la réintroduction des arbres dans les paysages agricole et l’embocagement des zones cultivées fut une réponse parmi d’autres dans le monde pour remédier à la catastrophe de la disparition du couvert forestier.

La forêt naturelle est un système qui entretient le cycle de l’eau, qui minimise et les « pertes » d’eau et les compense en générant l’eau dont elle a besoin. La création d’un système agricole tend, elle à créer un milieu déséquilibré ou l’eau fuit de toute part.

Dans un tel système, l’eau est perdue :

• par évaporation à la surface du sol

• par ruissellement de surface

• par percolation et drainage en profondeur

Comme l’indique le dessin ci-dessus, les pertes d’eau peuvent être variables :

- l’évaporation sera d’autant plus massive à la surface du sol, si celui-ci est nu et s’il est compacté ;

- le ruissellement de surface sera également d’autant plus prononcé si le sol n’est pas couvert et si l’eau ne rencontre pas obstacles qui la ralentit l’étale et facilite son infiltration ;

- la percolation et le drainage en profondeur entraîneront une perte sèche de l’eau en l’absence d’arbres dont les racines permettraient de remonter les eaux profondes vers la surface.

Les méthodes traditionnelles dites de récolte de l’eau sont des dispositifs de remédiation aux fuites des systèmes de productions agricoles. Elles sont un patrimoine technique et social essentiel dont il faut reconnaître la valeur et revaloriser les usages.

Ces méthodes et techniques sont des artefacts qui, pourrait-on dire, se donnent pour objectif essentiel de transformer « l’eau bleue » des précipitations, en « eaux vertes » productives et fécondes pour les agroécosystèmes gérés par les humains.

Il apparaît aujourd’hui essentiel d’en tirer le meilleur parti et d’intégrer ce patrimoine de savoir-faire dans un paradigme de régénération des milieux qui se donne pour but de non seulement de « récolter l’eau », mais de « cultiver l’eau » pour générer des milieux de vie fertiles et pérennes.

Cela implique de penser conjointement la question de l’eau, du sol, des plantes et des autres êtres vivants - micro et macrofaune - résidant sous et sur la terre. Pour cela nous avons besoin de conjuguer savoirs ancestraux et contemporains, populaires et scientifiques et aussi de nous doter d’une éthique qui considère la terre et l’eau comme un commun du monde vivant dont il faut prendre soin, et ne considère pas les territoires où nous vivons et cohabitons avec de multiples autres êtres vivants comme de simples milieux à exploiter pour le seul bénéfice d’une infime minorité.

Nous proposons au lecteur une série d’articles sur les différentes techniques de récolte et culture de l’eau pour en faire connaître les principes, les modalités de mise en œuvre et les potentiels.

Les différents articles à venir seront les suivants :

Dispositifs filtrants et rétenteurs : (lignes et cordons, diguettes, murets et digues de pierres et de végétaux

Aménagements en terrasses (sèche et pluviales, irriguées, inondées)

Designs à impluvium (micro et macro zone de captage)

Réseaux traditionnels d’acheminement de l’eau

Ces dispositifs techniques ont été développés dans des milieux semi-arides où alternent saisons sèches et saisons des pluies.

Concernant la gestion de l’eau et des sols agricoles dans des milieux ou l’eau est très présente voire excessive nous renvoyons le lecteur aux articles suivants :

[Jardins flottants du Bangladesh→10]

En cours de rédaction

Hortillonnages dans le monde

Chinampas aztèques

Mis en ligne par La vie re-belle
 9/04/2022
 https://lavierebelle.org/introduction-aux-techniques

Les articles 7

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