Jardins flottants du Bangladesh

Leçons de l’expérience de culture des terres inondées par des paysans bangladeshi

Dans une situation de précarisation de leurs conditions d’existence, mises en péril par les effets du réchauffement climatique, les paysans Bangladeshi mobilisent le capital d’expérience et de savoirs accumulés par leurs ancêtres en développant une technique de maraîchage flottant qui transforme les contraintes et l’hostilité du milieu en ressource. Leur expérience de culture des terres inondées pourrait inspirer des initiatives au Rwanda et en Afrique de l’Est.

Jardins flottants du Bangladesh

Leçons de l’expérience de culture des terres inondées par des paysans bangladeshi
Jardins flottants Bangladeshi

Les paysans du Bangladesh sont confrontés à la submersion récurrente des terres arables qu’ils cultivent du fait d’excès d’eau en période de moussons, et d’inondations de plus en plus fréquentes. Ces aléas, climatiques accentués par le réchauffement global de l’atmosphère réduisent à la fois les terres susceptibles d’être cultivées et la durée des périodes culturales. Par ailleurs les crues et les débordement des cours d’eaux ont accentué la diffusion d’une plante aquatique - la jacinthe d’eau - considérée généralement comme une nuisible par son aptitude à coloniser et réduire la biodiversité des écosystèmes de manière très rapide.

Dans cette situation de mise en péril de leurs conditions d’existence, les paysans Bangladeshi ont mobilisé l’expérience et les savoirs accumulés par leurs ancêtres depuis plusieurs siècles. Ils ont ainsi amélioré une technique de maraîchage flottant qui a transformé les contraintes et l’hostilité du milieu en ressource.

Leurs terres étant régulièrement submergées, les paysans ont créé des jardins flottants à partie des ressources du milieu : bambous, résidus de cultures précédentes, fumier, et surtout jacinthes d’eau qui se sont avérées être une ressource incomparable.

Les paysans bangladeshi sont malgré eux à l’un des avant-postes des conséquences désastreuses du dérèglement climatique global. Leur expérience résilient mérite d’être attentivement étudiée et diffusée. Elle pourraient inspirer des initiatives dans des contextes peu ou prou similaires. Tel est le cas, à nos yeux de plusieurs régions d’Afrique de l’est où les fonds de vallée sont régulièrement submergées, où la jacinthe d’eau colonise des lacs et d’autres zones humides et où le développement d’un maraîchage lacustre pourrait accroître les zones de production vivrières.

Jacinthes d’eau dans le lac Tana en Éthiopie

Jacinthes d’eau dans le lac Tana, en Éthiopie

Principe de construction des jardins flottants

Pour construire leur jardin flottant, les agriculteurs utilisent de long bambous, sur lesquels l’accumulation de couches de jacinthes d’eau en décomposition constitue la base d’un lit de semences fertile. Résidu de culture précédentes, terre et fumier complète la plate-bande riche en matière organique et nutriments pour les cultures. Dans ce milieu les plantes cultivées en association ne requièrent aucun d’intrant chimiques pour se développer et offrent souvent des rendements plus élevés qu’en plein champs.

Étapes de réalisation d’une plate-bande de culture flottante

Le choix du lieu d’implantation des jardins flottants est liée :

- à la présence importante de jacinthes d’eau ;

- à la profondeur de l’eau à l’endroit où le jardin flottant sera implanté.
La plate-bande ayant une profondeur d’un mètre, l’étendue d’eau doit elle-même être profonde d’au moins un mètre ou plus.

Pour créer un jardin flottant, le cultivateur a besoin au départ d’une barque ou d’une pirogue, de longues perches de bambou ou d’un autre bois suffisamment long et solide et de perches munies d’un crochet appelées « Thora » pour rassembler les jacinthes d’eau.

Après avoir posé la perche de bambou sur une étendue compacte de jacinthes d’eau, il tire les jacinthes qui sont de part et d’autres de la perche, vers la celle-ci, les hisse et les presse sur la perche-ci en les piétinant, pour réaliser un lit de plantes aussi compact que possible.

Pose de la perche centrale du futur lit de semence flottant
et piétinement des jacinthes ramenées sur la perche
Film documentaire pédagogique: Jardin potager flottant : https://www.accessagriculture.org

Il place la partie habituellement émergée de la jacinthe en position médiane du lit flottant, et les racine des jacinthes sur les côtés et vers le haut pour accélérer leur décomposition.

Il superpose plusieurs épaisseurs de plantes jusqu’à ce que la plate-bande supporte son poids.

Construction de jardin flottant et mise en place des couches de jacinthe d’eau avec l’outil appelé « Thora »
Bangladesh Agricultural Research Institute (BARI)

L’expérience montre que les cultures ne pousseront pas bien si le lit est trop mince, ou si un lit épais est fait en une seule fois.

Le cultivateur laisse donc la première couche de jacinthes se décomposer, se tasser et diminuer de volume pendant cinq à dix jours, puis il ajoute une autre couche.

Préparation de la couche de base du lit flottant avec de la jacinthe d’eau.

Après superposition de plusieurs couches, le lit flottant devient compact en raison de la décomposition des jacinthes d’eau. Les jacinthes immatures se décomposant plus rapidement que les matures, la couche de jacinthes matures est généralement utilisée comme fondation et les couches plus jeunes, sont mises au sommet du lit flottant.

Construction de jardin flottant et mise en place des couches de jacinthe d’eau avec l’outil appelé « Thora »

Les jardins flottants sont ancrés avec du bambou et de la corde de sorte qu’ils ne puissent pas dériver.

Les plate-bandes flottantes n’ont pas de taille ni de forme déterminée. Elles mesurent généralement 15 à 20 mètres de long, et 1,3 à 1,8 mètre de large et de 1,2 à 1,3 mètre de haut. Leur taille dépend des dimensions de l’étendue d’eau sur laquelle elles sont mises en place.

Différentes tailles et formes de jardins flottants.
Bangladesh Agricultural Research Institute (BARI)

Depuis quelques années, différentes matières premières de jardins flottant, des plate-bandes flottantes prêtes à l’emploi sont vendus sur les marchés locaux bangladeshi.

Marché flottant local de différentes matières premières pour jardins flottant.
Bangladesh Agricultural Research Institute (BARI)

Déplacement d’un jardin

Déplacement d’un jardin
Bangladesh Agricultural Research Institute (BARI)

Préparation des semis et repiquages des plants

Parallèlement à la réalisation des plate-bandes flottantes, dévolue aux hommes, les femmes commencent les semis. Pour cela, elles forment des boules de matière organique. Ces boules de 6 à 8 cm de diamètre, portent le nom de "Tema" ou "Mada", sont faites avec de la jacinthe d’eau bien décomposée issue de la saison précédente. Elles servent de milieu de germination des graines légumières sélectionnées (épinards indiens, gombo, concombre, etc.).

Préparation des boules « tema » ou « mada »

Préparation des boules « tema » ou « mada. »
Bangladesh Agricultural Research Institute (BARI)

Trois à quatre trous sont faits dans la boule à l’aide d’un bâton pointu ou du pouce. Ensuite, 3-4 graines sont insérées dans les trous et recouvertes avec un peu de compost. Ceci fait, les boules sont recouverte pendant 2 à 3 jours d’un sac en polyéthylène tissé et placée sous un toit pour les protéger des fortes pluies et du soleil.

Après la germination des graines qui intervient 5 à 7 jours après le semis, les boulettes sont maintenues sous un léger ombrage sur la ferme afin qu’elle durcissent et pour augmenter leur capacité d’adaptation. Les jeunes plants sont arrosés quotidiennement pour maintenir le milieu de culture dans des conditions optimales d’humidité. Les pépinières sont entourés de clôtures pour protéger les semis d’éventuels prédateurs.

Placement des graines dans les boules et Pépinières

Placement des graines dans les boules et Pépinières
Bangladesh Agricultural Research Institute (BARI)

Les plantules sont déplacées vers les jardins flottants lorsqu’elles elle sont aptes à être y être repiquées. En général, les semis peuvent être transplantés 10 à 15 jours après la germination des graines potagères.

Semis direct et repiquage sur lit flottant

Le lit flottant peuvent recevoir les plants à repiquer ou les semences, 20 à 25 jours après leur confection. Certains agriculteurs appliquent de l’engrais urée (environ 400-500g / 10m2) sur le lit flottant pour améliorer et accélérer la décomposition des végétaux composant le lit afin de semer ou planter plus tôt.

Traditionnellement, les graines de légumes-feuilles comme l’amarante rouge sont semées directement sur les lits flottants.

Les autres légumes comme l’épinards d’Inde, le gombo, le concombre... sont transplantés dans des trous espacés en moyenne de 25 centimètres.
Le curcuma et autres plantes à rhizome et les surgeons d’aracées, sont aussi transplantés en rangs.

Du compost est ajouté dans les trous où sont implantées les boules avec jeunes plants. Les plants transplantés ainsi que les rhizome germés et les parties inférieures des surgeons sont entourés de jacinthes d’eau décomposées prélevées en hachant la couche supérieure de la plate-bande afin de faciliter leur établissement.

Une quinzaine de jours plus tard, le cultivateur coupera les extrémités en décomposition de la plate-bande et placera ces résidus autour de la base de chaque plante pour la garder droite.

Transport et repiquage des plantules

Transport des plantules et repiquage
Bangladesh Agricultural Research Institute (BARI)

Gestion et protection des cultures

Si les plantes jaunissent, les agriculteurs appliquent habituellement un engrais à base d’urée comme couche supérieure et latérale, et irriguent les plants pour améliorer la croissance végétative.

L’irrigation et le désherbage sont effectués selon les besoins des cultures pour leur croissance et leur développement. Dans certains cas, les cultures sont entourées de clôtures en filet de nylon pour les protéger des canards. Parfois, les cultures de lit flottant sont endommagées par les rats. Les agriculteurs utilisent une méthode indigène pour protéger la culture de l’infestation par le rat.

Désherbage de l’amarante rouge sur lit flottant & Clôture de lit de curcuma pour empêcher l’attaque de canard

Amélioration des pratiques traditionnelles

Dans le système traditionnel de jardins flottant, les agriculteurs ne cultivent généralement qu’un nombre limité de cultures comme l’amarante rouge, le gombo, le curcuma et la moutarde, l’épinard indien, l’aubergine, le concombre, différents types de courges (amère, cireuse...), le melon ou encore le liseron d’eau...

Amarante rouge et gombo prêts à être récoltés. Épinards indiens et Curcuma au stade de croissance végétative sur lit flottant. Taros prêts à être récoltés et récolte du curcuma.

Le principal facteur limitant la diversité légumière des jardins flottant tient à leur largeur réduite. Généralement celle-ci varie de 1,10 m à 1,30. Les cultures pratiquées sur ces lits flottants sont donc choisies parce qu’elles n’ont pas besoin de plus d’espace pour leur croissance et leur développement. L’étroitesse des jardins flottants traditionnels n’est ainsi pas adaptée à la culture des plantes rampantes ou grimpantes qui ont besoin d’une surface importante en raison de leur grande taille et de leur port vigoureux.

L’adjonction de treilles prenant appui sur deux plates bandes ou plus permet de pallier à cette limitation. Avec ce dispositif alternant treilles et lits flottants, des cucurbitacées et d’autres plantes grimpantes peuvent être plantées sur les lits flottants. Elles se développent sur des treillis de bambou larges de 3 à 6 mètres conformément à l’exigence de croissance optimale de la culture.

Dispositif de treilles flottantes

Concombre (a), Gourde (b) et Citrouille (c) suspendus sous un treillis.
Ce système permet de cultiver plus de plantes sur le lit flottant : différents légumes à cycle court comme l’amarante rouge, les épinards, le radis, la coriandre peuvent être cultivés sur un lit flottant au début du cycle de croissance des cucurbitacées ce qui intensifie l’occupation de l’espace. Et augmente la production possible de légumes

Culture d’amarante rouge (a) et d’épinards (b) au début de la culture de la gourde.

Actuellement, des programmes de recherche sont en cours à la Station Régionale de Recherche Agricole bangladeshi de Rahmatpur, Barisal sur les cultures de citrouille, gourde, pomme de terre, choux (chou, chou-fleur, chou-rave (knol khol), brocoli etc.), carotte, pastèque, fraise, piment, haricots grimpant...etc., sur lit flottant.

Pomme de terre (a), carotte (b), chou (c), chou-fleur (d) et haricot grimpant (e) sur lit flottant.

Avantages du système

- La mise en oeuvre de jardins flottants ne nécessite qu’un minimum d’outils et nécessitent très peu de capital dès lors que les matières premières pour leur construction sont localement facilement disponibles.

- Les paysans résidant près des zones ou la jacinthe prolifère peuvent donc facilement utiliser la technique des jardins flottants ou utiliser la jacinthe comme engrais vert sans aucun coût supplémentaire.

- La productivité des jardins flottants est estimée jusqu’à dix fois plus élevée qu’un potager de même surface en pleine terre.

- Grâce à la présence naturellement abondante d’azote, de potassium et de phosphore dans les jardins flottants, il n’y a aucune nécessite de fertiliser.

- L’eau entourant les plate-bandes cultivées réduit la présence de bio agresseurs.

- Les plate-bandes flottantes peuvent être recyclés et utilisés comme engrais organique dans de nouveaux jardins flottants ou et dans les champs. La jacinthe d’eau est riche en nutriments primaires (azote, le phosphore et le potassium) et en micronutriments (bore, molybdène, etc.) à des taux comparables à la bouse de vache et à d’autres engrais organiques;

- Lorsque l’eau se retire dans les zones humides, les lits flottants démontés sont utilisés comme engrais organique. De cette façon, ils améliorent la fertilités des sols pour les cultures suivantes.

- L’utilisation des jacinthes d’eau, qui sont invasives, participe à la préservation de la vie aquatique de la région.

- La pratique des jardins flottant est donc à la fois économique et écologique.

- L’utilisation de jacinthes d’eau réduit les aires de reproduction des moustiques.

- Elle participe à la régulation de la prolifération de la jacinthe d’eau, contribue à la restauration d’écosystème plus diversifiés et a un impact positif sur la pêche en eau libre.

- Cette pratique contribue également à la sécurité alimentaire grâce à l’extension des espace dédiés au maraîchage dans les zones humides et des périodes culturales.

Liens vidéos :

- Jardin potager flottant :
https://www.accessagriculture.org/fr/jardin-potager-flottant

- Floating garden:

- How to do Floating Vegetable Garden-step by step :

- Starting a Business - Floating Gardens a Technology to Allow Farmers to Grow Food on Flooded Land

https://www.youtube.com/watch?v=uH5GNX8OqSY

- Floating Agriculture Technology of BAR

Bibliographie

- Awal MA (2014), « Water logging in southwestern coastal region of Bangladesh: local adaptation and policy options. » Science Postprint 1(1): e00038. doi: 10.14340/spp.2014.12A0001
http://www.spp-j.com/spp/1-1/spp.2014.12A0001#sthash.AtqkpCuK.dpbs

- Haseeb Md Irfanullah, Md Abul Kalam Azad, Md Kamruzzaman & Md Ahsanul Wahed, « Floating Gardening in Bangladesh: a means to rebuild lives after devastating flood », Indian Journal of Traditional Knowledge, Vol. 10 (1). January 2011. pp. 31-38

- Ministry of Agriculture, People’s Republic of Bangladesh, « Floating Garden Agricultural Practices in Bangladesh A Proposal for Globally Important Agricultural Heritage Systems (GIAHS) »

- Mohammed Abu Sayed Arfin Khan, « Climate change adaptation through local knowledge in the north eastern region of Bangladesh », Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change · December 2012.
https://www.researchgate.net/publication/236903167_Climate_change_adaptation_through_local_knowledge_in_the_north_eastern_region_of_Bangladesh

- Shantanu Kumar SAHA, « Soilless Cultivation for Landless People: An Alternative Livelihood Practice through Indigenous Hydroponic Agriculture in Flood-prone Bangladesh »
https://secure.apu.ac.jp/rcaps/uploads/fckeditor/publications/journal/RJAPS_V27_Saha.pdf

- Tapas Ranjan Chakraborty, « Management of Haors, Boars, and Beels in Bangladesh, Lessons for Lake Basin Management »
https://www.ilec.or.jp/ILBMTrainingMaterials/resources/Bangladesh_presentation.pdf

- Tawhidul Islam and Peter Atkins, « Indigenous floating cultivation: a sustainable agricultural practice in the wetlands of Bangladesh »

Published online by La vie re-belle
 15/12/2018
 https://lavierebelle.org/jardins-flottants-du-bangladesh-12

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