Permaculture et design

Pour appréhender le sens du mot permaculture, pour son créateur, Bill Mollison, nous publions la traduction de deux extraits de son ouvrage Permaculture a designer’s Manual.

Permaculture et design

Bill Mollison

Ouvrage fondamental du mouvement anglo-saxon de la permaculture Permaculture a designer’s Manual reste étonnamment non traduit en français à ce jour.

Les deux extraits que nous publions ci-dessous montrent que dans l’esprit de son fondateur, la permaculture ne saurait se résumer à des techniques agricoles. Elle se fonde sur une réflexion éthique et philosophique portée par une question : Comment mettre en pratique une nouvelle alliance des humains avec la terre et l’ensemble des êtres qui la peuple. Publié en 1988, Bill Mollison, y évoque l’inéluctabilité d’un effondrement des systèmes vivants, et des sociétés qu’elles supportent, trois décennies avant la parution de l’ouvrage Comment tout peut s’effondrer. La permaculture est la réponse radicale éthique et pratique que son créateur a élaborée, au cours de son parcours de réflexion systémique bio, éco et anthropo logique.

Définition de la permaculture

La permaculture (agriculture permanente) est la conception et l’entretien conscients (conscious design and maintenance) d’écosystèmes agricoles productifs qui ont la diversité, la stabilité et la résilience des écosystèmes naturels. Il s’agit de l’intégration harmonieuse du milieu (landscape) et des personnes produisant leur nourriture, leur énergie, leur logement et d’autres ressources matérielles et immatérielles de manière durable. Sans une agriculture permanente, il n’y a pas de possibilité d’un ordre social stable.

Le « design » en permaculture renvoie à l’élaboration d’un système réunissant des éléments conceptuels, matériels et stratégiques selon un modèle (« pattern ») fonctionnant au profit de la vie sous toutes ses formes.

La philosophie de la permaculture consiste à travailler avec la nature plutôt que contre elle, à observer longuement et attentivement plutôt qu’à agir de manière irréfléchie, à considérer les systèmes dans toutes leurs fonctions plutôt que de n’exiger d’eux seulement d’être rentable à permettre aux systèmes de déployer leurs propres évolutions.

( Permaculture a designer’s Manual p. IX)

INTRODUCTION

1.1 PHILOSOPHIE DU DESIGN DE LA PERMACULTURE

Bien que ce livre soit consacré au design, il traite également de valeurs et d’éthique, et surtout du sens de la responsabilité personnelle concernant l’attention à apporter à la terre. J’ai parfois écrit à la première personne, pour indiquer qu’il ne s’agit pas d’un document détaché, impersonnel, ou impartial. Chaque livre ou publication à un auteur, et le sujet que cet auteur choisit est subjectif, car celui qui écrit détermine seul le sujet, le contenu et les valeurs qu’il exprime ou omet. Je ne suis pas délié de cette terre, j’y ai été passionnément impliqué, et je donne donc ici une brève vision de ce qui, selon moi, peut être réalisé par chacun.

La triste réalité est que nous risquons de périr par notre propre stupidité et notre manque de sens des responsabilités à l’égard de la vie. Si nous disparaissons à cause de facteurs qui échappent à notre contrôle, au moins pouvons-nous mourir avec fierté, mais créer un gâchis dans lequel nous périssons par notre propre inaction rend absurdes nos prétentions à la conscience et à la moralité.

L’accumulation contemporaine des preuves du désastre écologique m’interpellent, et cela devrait vous effrayer aussi. Notre mode de vie axé sur la consommation nous a menés au bord de l’anéantissement. Nous avons transformé notre droit de vivre sur la terre en droit de conquête. Pourtant, les "conquérants" de la nature perdent toujours. Accumuler des richesses, du pouvoir ou des terres au-delà de ses besoins dans un monde limité, c’est être absolument immoral, que ce soit le fait d’un individu, d’une institution ou d’un État.

Ce que nous avons fait, nous pouvons le défaire. Il n’y a plus de temps à perdre ni besoin d’accumuler davantage de preuves de la catastrophe en cours ; le temps de l’action est venu. Je suis profondément convaincu que nous sommes les uns pour les autres la seule ressource essentielle dont nous avons besoin. Si nous articulons nos talents, nous nous suffirons à nous-mêmes. Nous survivrons ensemble ou aucun de nous ne survivra. S’opposer les uns aux autre dans ce contexte est aussi stupide et inutile que de se battre lors de catastrophes naturelles, quand la coopération de chacun est vitale.

Une personne courageuse aujourd’hui est une personne de paix. Le courage dont nous avons besoin est de refuser l’autorité et de n’accepter que des décisions personnelles responsables. Comme la guerre, la croissance à tout prix est une option démodée et vaine. Ce sont nos vies qui sont mises à mal. La seule décision responsable qui nous incombe est de ne plus soutenir les systèmes destructeurs et de cesser d’investir nos vies dans notre propre destruction.

Premier principe de la permaculture

La seule décision éthique est de prendre la responsabilité de notre propre existence et de celle de nos enfants.
Il faut agir maintenant.

La plupart des personnes sensées conviendront que nous sommes sommés de prendre des décisions finales et irrévocables qui aboliront ou maintiendront la vie sur cette terre. Nous pouvons soit choisir d’ignorer la folie de la croissance industrielle incontrôlée et des dépenses militaires, les grandes catastrophes qui érodent chaque jour les formes de vie, soit choisir le chemin de la vie et de la survie.

La connaissance, l’humanité, la science et la compréhension sont en transition. Il y a longtemps, nous avons commencé en nous interrogeant essentiellement sur le plus lointain ; l’astronomie et l’astrologie étaient nos anciennes préoccupations. Nous avons progressé de millénaires en millénaires et nous avons énuméré les merveilles de la terre. D’abord en nommant les choses, puis en les classant par catégories, et plus récemment en leur attribuant une fonction interne et externe. Cette analyse a entraîné le développement de multiples sciences et technologies, une prolifération de disciplines et de spécialistes et par conséquent une incapacité à concevoir des systèmes intégrés.

Le grand changement d’orientation actuel porte sur la compréhension de la manière dont les éléments des systèmes interagissent, dont ils fonctionnent ensemble, dont la dissonance ou l’harmonie des systèmes vivants ou sociaux est obtenue. La vie est plus coopérative que compétitive, et des formes de vie aux qualités très différentes peuvent interagir de manière bénéfique les unes avec les autres et avec leur environnement physique. “Même "les bactéries... vivent par la collaboration, le compromis, l’échange et le troc" (Lewis Thomas. 1974).

Principe de coopération

La coopération, et non la concurrence, est la base même des systèmes de vie existants et de la survie future.

Il existe de nombreuses possibilités de créer des systèmes fonctionnels à partir des connaissances et des technologies existantes. Peut-être ne devrions-nous rien faire d’autre pour le siècle prochain que d’appliquer nos connaissances. Nous savons déjà comment construire, entretenir et installer des systèmes durables. Tous les problèmes essentiels sont résolus, mais dans la vie quotidienne ou chez les gens, cela n’est guère apparent. L’esclave salarié, le paysan, le propriétaire et l’industriel sont privés de la joie et de l’esprit libre que permet une société coopérative qui applique ses connaissances. Les gardiens et les prisonniers sont tout aussi captifs de la société dans laquelle ils vivent.

Si nous nous demandons pourquoi nous sommes ici et ce qu’est la vie, alors nous nous dirigeons vers la science et le mysticisme qui se rejoignent à mesure que la science elle-même se rapproche de ses limites conceptuelles. Quant à la vie, elle est le plus ouvert des systèmes ouverts, capable de puiser dans les ressources énergétiques à point nommé et de s’exprimer à nouveau non seulement comme une vie, mais comme générations successives et comme évolution.

Lovelock (1979) a peut-être le mieux exprimé la philosophie, ou l’idée, qui relie la science et les croyances tribales : il voit la terre et l’univers, comme un processus intelligent, ou comme un système autorégulé, créatif et réactif, générant et préservant les conditions qui rendent la vie possible, et s’ajustant activement pour réguler les perturbations. Cependant, l’humanité, dans son inconscience actuelle, est peut-être la seule perturbation que la terre ne peut pas tolérer.

« L’hypothèse Gaïa est destinée à ceux qui aiment marcher ou simplement se tenir debout et regarder pour s’interroger sur la terre et la vie qu’elle porte, et pour spéculer sur les conséquences ou notre propre présence ici. C’est une alternative à cette vision pessimiste qui voit la nature comme une force primitive à soumettre et à conquérir. C’est aussi une alternative à cette image tout aussi déprimante de notre planète comme un vaisseau spatial dément, en voyageant indéfiniment autour du soleil sans pilote ni but. » (J.E. Lovelock, 1979).

Pour chaque énoncé scientifique articulé sur l’énergie, les tribus aborigènes d’Australie ont un énoncé équivalent sur la vie. La vie, disent-ils, est une totalité qui n’est ni créée ni détruite. On peut l’imaginer comme un œuf d’où toutes les tribus (formes de vie) sortent et auquel toutes retournent. L’idéal est de passer son temps dans la perfection de l’expression de la vie, de mener la vie la plus évoluée possible, d’assister et de célébrer l’existence de formes de vie autres qu’humaines, car toutes proviennent du même œuf.

L’ensemble de cette approche conduit à une existence quotidienne signifiante, dans laquelle chaque quantum de vie tente indéfiniment de parfaire son expression future, ver une éventuelle perfection transcendantale. Il est terrible de constater que les peuples tribaux, dont le but était de développer une existence signifiante et spirituelle, ont été dominé par une culture scientifique et matérielle rudimentaire dont le but n’est pas seulement inavouable, mais dont l’existence repose sur des systèmes pseudo-économiques et technologiques.

L’expérience du monde naturel et de ses lois a presque été abandonnée au profit de vies fermées, artificielles et dénuées de sens, dont la meilleure illustration est peut-être la dystopie de personnes vivant dans des satellites spatiaux après avoir abandonné une terre mourante.

Je crois que si nous n’adoptons pas les systèmes de croyances autochtones sophistiqués et si nous n’apprenons pas à respecter toute vie, nous perdrons la nôtre, non seulement notre vie actuelle, mais aussi toute possibilité future de développer notre potentiel. Que nous continuions, sans éthique ni philosophie, comme les enfants abandonnés et orphelins, ou que nous créions des opportunités pour atteindre la maturité, l’équilibre et l’harmonie est la seule vraie question qui se pose à la génération actuelle. C’est le débat qui ne doit jamais s’arrêter.

Une jeune femme est venue me voir un jour après une conférence au cours de laquelle je m’interrogeais sur les différents conceptions de l’au-delà ; la pléthore de « cieux » imaginés. Son point de vue était le suivant : « Le ciel, c’est ici. Faites pour lui tout ce que vous pouvez ».

Je ne pourrais pas donner de meilleurs conseils. Nous sommes les artisans du paradis ou de l’enfer dans lequel nous vivons. .

1.2 ÉTHIQUE

Initialement, plusieurs parmi nous ont fait des recherches sur l’éthique communautaire, telle qu’elle est adoptée par les anciens groupes religieux et coopératifs, en cherchant des principes universels pour guider nos propres actions. Bien que bon nombre de bréviaires moraux contenaient jusqu’à 18 principes, la plupart d’entre eux peuvent être inclus dans les trois principes énoncés ci-après, et on peut dire que le deuxième et le troisième découlent du premier) ;

Base éthique de la permaculture

1. Prendre soin de la terre : Assurer la pérennité et la multiplication des systèmes de vie.
2. Prendre soin des personnes : Permettre aux personnes d’accéder aux ressources nécessaires à leur existence.
3. Limiter la population et la consommation : En gérant nos propres besoins, nous pouvons mettre de côté des ressources pour promouvoir les principes ci-dessus

Cette éthique est une déclaration d’intention très simple, utile pour orienter nos efforts quotidiens. Elle peut être associée au choix déterminé de suivre son propre chemin : n’être ni employeur ni employé, ni propriétaire ni locataire, mais être autonome en tant qu’individu sachant coopérer avec autrui.

Pour le bien de la terre elle-même, j’ai développé une philosophie proche du taoïsme à partir de mes expériences des les systèmes naturels. Comme il a été dit dans Permaculture Two, c’est une philosophie qui consiste à travailler avec la nature plutôt que contre elle ; à observer longuement et attentivement plutôt qu’à agir de manière irréfléchie ; à regarder les systèmes et les gens dans leurs fonctions, plutôt que de leur demander un seul rendement ; et à permettre aux systèmes de démontrer leurs propres évolutions.

Une question fondamentale peut être posée de deux manières :

« Que puis-je tirer de cette terre, ou de cette personne »
ou
« Que peut offrir cette personne, ou ce terrain, si je coopère avec eux »

La première de ces deux approches conduit à la guerre et au gaspillage, la seconde à la paix et à l’abondance.

La plupart des conflits résident dans la manière dont les questions sont posées, et non dans les réponses à une quelconque question. Pour le dire autrement, mieux vaut chercher les bonnes questions que les réponses à de « mauvaises » questions. Nous devons être attentifs à reformuler ou à refuser les « mauvaises » questions.

Il est devenu évident que l’unité des peuples proviendra d’une adhésion commune à un ensemble de principes éthiques, chacun suivant sa propre voie, à son propre rythme et dans les limites de ses ressources, mais en poursuivant les mêmes objectifs.

Dans notre cas, notre objectif est une terre vivante, complexe et durable. Ceux qui s’accordent sur cette éthique, cet philosophie et cet objectif forment une communauté mondiale.

Comment pouvons nous faire évoluer notre éthique, et pourquoi devrions-nous nous donner la peine de le faire ?

Les humains sont des êtres pensants dotés d’une mémoire orale et écrite et capables d’enquêter sur un passé lointain en appliquant diverses techniques allant de la dendrochronologie à l’archéologie, de l’analyse du pollen aux sciences géologiques. Il est devenu évident que les comportements dans le monde naturel que nous croyions appropriés d’un seul coup se révélé plus tard dommageables pour notre propre société à long terme (tel est le cas des effets de la lutte antiparasitaire biocide sur les sols et l’eau).

Ainsi conduits par l’information, la réflexion et l’investigation minutieuse, nous pouvons être conduits à modérer, abandonner ou interdire certains comportements et certaines substances qui, à long terme, menacent notre propre survie. Ce faisant, nous agissons pour survivre.

Des règles de comportement conservatrices et prudentes peuvent être élaborées. Il s’agit d’un processus rationnel et sensé, à l’origine de nombreux tabous dans les sociétés tribales.

À partir de nombreuses études de cas, nous pouvons énumérer aujourd’hui quelques règles, par exemple la RÈGLE DE L’UTILISATION NÉCESSAIRE - selon laquelle nous nous engageons à laisser tout système naturel en paix, tant que nous ne sommes pas, par nécessité, contraints de l’utiliser.

Dans un tel cas, nous pouvons ensuite adopter des RÈGLES D’UTILISATION CONSERVATOIRE. Ayant jugé nécessaire d’utiliser une ressource naturelle, nous insistons sur la nécessité de tenter de :

- réduire les déchets, donc la pollution ;

- recycler complètement les minéraux exploités ;

- faire une comptabilité énergétique précise ;

- évaluer les effets négatifs à long terme sur la société et agir pour les atténuer ou les éliminer.

En pratique, nous avons fait évoluer au fil du temps les diverses formes de comptabilité de nos actions : fiscale, sociale, environnementale, esthétique ou énergétique pour les adapter à notre propre survie.

La prise en compte de ces règles d’utilisation nécessaire et conservatrice peut nous conduire, étape par étape, à la compréhension fondamentale de notre interconnexion avec la nature, à savoir que notre survie dépend de la bonne santé des systèmes étrangers. Ainsi, nous élargissons l’idée égoïste de la survie humaine (sur la base des famines et des catastrophes environnementales passées) pour y inclure l’idée de "la survie des systèmes naturels", et nous pouvons voir, par exemple, que lorsque nous perdons des espèces végétales et animales à cause de nos actions, nous perdons de nombreuses opportunités de survie. Nos destins sont liés. Ce processus, ou quelque chose de similaire, est commun à tous les groupes de personnes qui développent une éthique générale de la terre.

Ayant développé une éthique de la terre en évaluant notre meilleure voie de survie, nous nous tournons ensuite vers nos relations avec les autres. Ici, nous observons une règle générale de la nature : les espèces coopératives et les associations d’espèces autosuffisantes (comme les mycorhizes sur les racines des arbres) forment des communautés saines. Ces enseignements nous conduisent à une résolution raisonnable de coopérer et d’assumer des rôles de soutien dans la société, afin de favoriser une interdépendance qui valorise les contributions de l’individu plutôt que des formes d’opposition ou de concurrence. Bien qu’au départ nous puissions voir comment l’aide apportée à notre famille et à nos amis nous aide dans notre propre survie, nous pouvons faire évoluer l’éthique mature qui considère toute l’humanité comme une famille, et toute la vie comme des associations alliées. Ainsi, nous étendons les soins aux personnes aux soins aux espèces, car toute vie a des origines communes. Toutes sont "notre famille".

Nous voyons comment l’intérêt personnel éclairé nous conduit à faire évoluer l’éthique d’un comportement durable et sensé. Voilà donc l’éthique qui s’exprime dans la permaculture. Une fois l’éthique développée, nous pouvons alors concevoir des moyens de l’appliquer à notre vie, à notre économie, à nos jardins, à notre terre et à la nature. C’est ce dont il s’agit dans ce livre, qui traite des mécanismes d’un comportement éthique mature, ou de la manière d’agir pour préserver la terre.

Il existe plus d’une façon d’atteindre la permanence et la stabilité de la terre ou de la société. L’approche paysanne est celle décrite par King(6) pour la Chine ancienne. Ici, les gens transportaient les nutriments des canaux, des fosses d’aisance, des sentiers et des forêts vers une culture annuelle de céréales. On pourrait qualifier cette méthode de "permanence féodale" en raison de ses méthodes, de sa période et de ses méthodes. Les gens étaient liés au paysage par un labeur incessant, et au service de l’État ou du propriétaire. Cela a finalement conduit à la famine et à la révolution.

Une deuxième approche est celle des pâturages permanents des prairies, de la pampa et des fermes modernes de l’Ouest, où de grandes exploitations et peu de gens créent de vastes baux de pâturage, généralement pour une seule espèce d’animal. Cette approche est mieux décrite comme une "permanence baronniale" avec des propriétés quasi royales d’une immense étendue, travaillant au niveau le plus bas possible d’utilisation des terres (les pâturages ou les terres cultivées sont l’utilisation la moins productive des terres que nous puissions imaginer). De tels systèmes, une fois mécanisés, détruisent la totalité des paysages et des sols. On peut alors les qualifier de déserts agricoles.

Les forêts, que l’homme industriel ne considère pas comme autre chose que du bois, sont une autre agriculture permanente. Mais elles nécessitent des générations de soins et de connaissances et donc un respect tribal ou communautaire que l’on ne trouve que dans les communautés stables. C’est donc cette permanence communautaire que beaucoup d’entre nous recherchent : pouvoir planter un pécan ou un agrume quand nous sommes vieux, et savoir qu’il ne sera pas coupé par les enfants de nos enfants.

Plus nous nous éloignons de la permanence communautaire, plus le risque de tyrannie, de féodalisme et de révolution est grand et plus le travail est important pour un rendement moindre. Toute erreur ou perturbation peut alors entraîner un désastre, comme une année de sécheresse dans une culture céréalière dans le désert ou une décision politique lointaine sur les tarifs.

Le risque réel est que les besoins des gens qui travaillent "sur le terrain", les habitants, soient renversés par les besoins (ou la cupidité) du commerce et du pouvoir central utilisé ; que la forêt soit coupée pour les navires de guerre ou les journaux et que nous soyons réduits à des serfs dans un paysage stérile.Tel a été le sort de l’Europe paysanne, de l’Irlande et d’une grande partie du tiers monde.

La caractéristique qui caractérise toutes les agricultures permanentes est que les besoins en énergie du système sont fournis par ce système. L’agriculture moderne est totalement dépendante des énergies extérieures, d’où le problème du pétrole et de la pollution qui lui est associée.

La figure 1.1 est une illustration très simple mais suffisante du cas que je présente. Les forêts sélectionnées non seulement donnent un rendement supérieur à celui des cultures annuelles, mais elles fournissent également une ressource diversifiée de nutriments et de combustibles pour ces cultures.

Sans une agriculture permanente, il n’y a pas de possibilité d’un ordre social stable. Ainsi, le passage de systèmes productifs permanents (où la terre est tenue en rommon), à des agricultures annuelles et commerciales où la terre est considérée comme une marchandise, implique un passage d’une société à faible énergie à une société à forte énergie, l’utilisation de la terre de manière exploitante et une demande de ressources énergétiques externes, principalement fournies par le tiers monde. Les gens pensent que je suis un peu fou quand je leur dis de rentrer chez eux et de jardiner, ou de ne pas s’engager dans l’agriculture mécanisée à grande échelle ; mais un peu de réflexion et de lecture les convaincra que c’est, en fait, la solution à de nombreux problèmes mondiaux.

Ce qui est maintenant possible, c’est une synthèse totalement nouvelle des systèmes végétaux et animaux, en utilisant une approche post-industrielle ou même informatisée de la conception des systèmes, en appliquant les principes de l’énergie du système entier tels que conçus par Odum (1971), et les principes de l’écologie tels qu’énoncés par Watt (13) et d’autres.

Si nous avions enseigné cette approche dès le début, nous serions tous dans un paysage stable et fonctionnel, mais nos grands-parents nous ont laissé tomber et (peut-être pour Jack of lime ou information) ont mis en place les ménages, les villes et les cités actuels, toujours mal conçus. Le concept d’énergie "gratuite" a mis le dernier clou dans le cercueil de la communauté de bon sens, et a permis aux sociétés matérialistes de voler des peuples lointains, inconscients de l’inévitable comptabilité à venir.

1.3 LA PERMACULTURE EN CONTEXTE ET LA SOCIÉTÉ

Comme la permaculture repose sur une conception bienfaisante, elle peut s’ajouter à toutes les autres formations et compétences éthiques, et a le potentiel de prendre place dans toutes les entreprises humaines. Cependant, concrètement la permaculture se concentre sur des zones déjà peuplées et sur des terres agricoles. Presque toutes ces zones ont besoin d’être réhabilitées et repensées de manière drastique. Un résultat certain de l’utilisation de nos compétences pour intégrer l’approvisionnement alimentaire, pour capter l’eau de nos toits et pour générer à proximité une zone de forêt qui reçoit les déchets et fournit de l’énergie, sera de libérer la plus grande partie de la surface du globe pour la réhabilitation des systèmes naturels. Il n’est jamais nécessaire de les considérer comme "utiles aux gens", sauf au sens très large de la santé globale.

La véritable différence entre un écosystème cultivé (conçu) et un système naturel est que la grande majorité des espèces (et de la biomasse) de l’écologie cultivée est destinée à l’usage des hommes ou de leur bétail. Nous ne sommes qu’une petite partie de l’ensemble des espèces primitives ou naturelles, et seule une petite partie de leurs productions nous est directement accessible. Mais dans nos propres jardins, presque toutes les plantes sont sélectionnées pour fournir ou soutenir une production directement utile pour l’homme. Le design des foyers est principalement liée aux besoins des personnes ; elle est donc centrée sur l’homme (anthropocentrique).

C’est un objectif valable pour la conception de communautés villageoises, mais nous avons également besoin d’une éthique centrée sur la nature pour la conservation des zones sauvages. Nous ne pouvons cependant pas faire grand-chose pour la nature si nous ne maîtrisons pas notre cupidité et si nous ne subvenons pas à nos besoins à partir de nos établissements existants. Si nous pouvons atteindre cet objectif, nous pouvons nous retirer d’une grande partie du paysage agricole et permettre aux systèmes naturels de prospérer.

Le recyclage des nutriments et de l’énergie dans la nature est une fonction de nombreuses espèces. Dans nos jardins, il est de notre propre responsabilité de restituer les déchets (via le compost ou le paillis) au sol et aux plantes. Nous créons activement du sol dans nos jardins, alors que dans la nature, de nombreuses autres espèces remplissent cette fonction. Autour de nos maisons, nous pouvons capter de l’eau pour le jardin, mais nous dépendons des paysages forestiers naturels pour fournir les plantes et les nuages qui permettent aux rivières de continuer à couler avec de l’eau propre, pour maintenir l’atmosphère mondiale et pour séquestrer nos gaz polluants. Ainsi, même les personnes anthropocentrées seraient bien avisées de prêter une attention particulière et d’aider à la conservation des forêts existantes et à la réhabilitation des terres dégradées. Notre propre survie exige que nous préservions toutes les espèces existantes et que nous leur laissions un endroit où vivre.

Nous avons abusé de la terre et mis au rebut des systèmes que nous n’aurions jamais dû perturber si nous nous étions occupés de nos jardins et de nos zones d’habitation. Si nous devons établir un ensemble de principes éthiques concernant les systèmes naturels, alors faisons en sorte qu’il soit fondés sur :

- Une opposition implacable et sans compromis à toute nouvelle perturbation des forêts naturelles restantes, où la plupart des espèces sont encore en équilibre ;

- Une réhabilitation vigoureuse des systèmes naturels dégradés et endommagés pour les ramener à un état stable ;

- La mise en place de systèmes cultivés pour notre propre usage sur la plus petite surface de terre que nous pouvons utiliser pour notre existence ;

- La création de refuges de plantes et d’animaux pour les espèces rares ou menacées.

La permaculture en tant que système d’élaboration de design se préoccupe principalement du troisième principe énoncé ci-dessus, mais toutes les personnes qui agissent de manière responsable souscrivent en fait aux première et deuxième déclarations. Cela dit, je pense que nous devrions utiliser toutes les espèces dont nous avons besoin ou que nous pouvons trouver pour notre propre les conceptions d’établissements, à condition qu’elles ne soient pas localement endémiques et envahissantes.

Que nous le voulions ou non, le monde qui nous entoure change continuellement. Certains voudraient que tout reste stable, mais l’histoire, la paléontologie et le bon sens nous disent que tout a changé, change, changera. Dans un monde où nous perdons des forêts, des espèces et des écosystèmes entiers, trois réponses concurrentes et parallèles doivent être apportées à l’environnement :

- VEILLER À LA PRÉSERVATION DES COMMUNAUTÉS ET DES MILIEUX NATURELS pour laisser la nature sauvage se guérir elle-même.

- RÉHABILITER LES TERRES DÉGRADÉES OU ÉRODÉES en utilisant des espèces pionnières complexes et des assemblages végétaux à long terme (arbres, arbustes, couvertures végétales).

- CREER NOTRE PROPRE ENVIRONNEMENT DE VIE COMPLEXE avec autant d’espèces que nous pouvons sauver, ou dont nous avons besoin, d’où qu’elles viennent sur la terre.

Nous approchons rapidement du point où nous avons besoin d’établir des refuges pour toutes les formes de vie terrestres, ainsi que de parcs régionaux, nationaux pour préserver les espèces végétales et animales indigènes. Si nous considérons notre flore et notre faune locales comme "indigènes", nous pouvons aussi logiquement considérer toute vie comme "native de la terre". Si nous essayons de préserver des systèmes qui sont encore locaux et divers, nous devons également construire des écologies nouvelles ou recombinantes à partir des ressources mondiales, notamment pour stabiliser les terres dégradées.

Dans votre propre jardin, vous trouverez probablement des plantes, des animaux et des organismes du sol provenant de tous les continents et de nombreuses îles. Les voyages en avion n’ont fait qu’accélérer un processus déjà bien établi par la dérive des continents, la migration des oiseaux, le transport par le vent et le transport des débris par l’eau. Avec le temps, tout va soit disparaître, soit se propager plus largement, soit évoluer vers de nouvelles formes. Chacun de ces processus se produit en même temps, mais le rythme d’extinction et d’échange s’accélère. Plutôt que de nouvelles espèces, des hybrides adaptés apparaissent, par exemple sous la forme de palmiers. Les herbes marines et les escargots, ainsi que les micro-organismes de nombreux continents, se rencontrent, se mélangent et produisent de nouvelles adaptations à leur "nouvel" environnement.

La chimie même de l’air, du sol et de l’eau est en mouvement. Des métaux, produits chimiques, des gaz et des matières plastiques déversés en vrac sur la terre qui n’avaient jamais été présents auparavant, ou ne l’avaient jamais été sous une telle forme et en telle quantité avant que nous ne les fabriquions.

Je pense que nous avons deux responsabilités à assumer :

- D’abord, organiser nos jardins et nos foyers et nos lieux de vie, afin qu’il nous fasse vivre.

- Puis limiter notre population sur terre, sinon nous deviendrons le fléau final.

Ces deux devoirs sont intimement liés, car des régions stables créent des populations stables. Si nous ne réorganisons pas nos villes, nos maisons et nos jardins, afin qu’ils nous nourrissent et nous abritent, nous allons devoir mettre à sac tous les autres systèmes naturels. Ainsi, les défenseurs de l’environnement véritablement responsables ont des jardins qui subviennent à leurs besoins alimentaires, et s’efforcent de réduire leurs propres besoins énergétiques à une consommation modeste, ou à celle qui peut être fournie par les ressources locales en énergie éolienne, hydraulique, forestière ou solaire. Nous pouvons travailler à la fourniture de biomasse pour nos besoins énergétiques essentiels à l’échelle des ménages et des régions.

Il est hypocrite de prétendre sauver les forêts tout en achetant des journaux quotidiens et des aliments emballés, de préserver les plantes indigènes tout en comptant sur la production agrochimique pour se nourrir, et d’adopter un régime alimentaire qui exige une production alimentaire à grande échelle.

Les jardiniers philosophes ou les agriculteurs-poètes se distinguent par leur sens de l’émerveillement et leur réel sentiment pour l’environnement. Lorsque les religions cesseront de détruire les arbres pour construire des temples ou des artefacts humains, et qu’elles généraliseront l’amour et le respect des systèmes vivants comme témoins du potentiel de la création, elles rejoindront les nombreuses personnes qui, aujourd’hui, sont conscientes de la complexité et des propriétés d’autosuffisance des systèmes naturels, des univers entiers aux simples molécules. Jardinier, scientifique, philosophe, poète et adepte des religions, tous peuvent concourir à l’admiration et au respect de cette terre. Nous créons nos propres conditions de vie, maintenant et pour l’avenir.

En permaculture, cela signifie que nous avons tous un rôle à jouer dans l’identification, le soutien, la proposition, l’investissement ou la création d’habitats et de refuges d’espèces sauvages. La façon pratique de procéder (en dehors du jardin familial) consiste à créer ou à adhérer à des instituts ou des organisations dont les objectifs, en vertu de leur charte légale, sont de mener des activités de conservation. Bien que les coûts soient faibles, les effets sont, au total, profonds. Même le plus petit jardin peut réserver quelques mètres carrés d’habitat aux insectes, lézards, grenouilles ou papillons, tandis que les plus grands jardins et fermes peuvent clôturer des zones forestières et humides d’une valeur critique pour les espèces locales. Ces zones ne devraient être utilisées que pour la conservation des espèces locales.

La permaculture en tant que design systémique ne contient rien de nouveau. Elle arrange ce qui a toujours été là d’une manière différente, de sorte qu’elle travaille à ce que le système à économise l’énergie ou à produise plus d’énergie qu’il n’en consomme. Ce qui est nouveau et souvent négligé, c’est que tout design de bon sens pour les communautés humaines est révolutionnaire !

« Design » est le mot clé de ce livre : design dans le paysage, les systèmes sociaux et conceptuels, dans l’espace et le temps. J’ai tenté d’éclairer ce sujet difficile du design et j’ai essayé d’ordonner des sujets complexes de manière à les rendre accessibles. Le texte est positiviste, sans prétendue innocence ni croyance que tout va bien se passer. Ce n’est que si nous faisons en sorte qu’il en soit ainsi que cela se produira.

Comme on le verra clairement dans d’autres chapitres de ce livre, le résultat final de l’adoption de stratégies de permaculture dans un pays ou une région quelconque sera de réduire considérablement la superficie de l’environnement agricole nécessaire aux ménages et aux établissements humains, et de libérer une grande partie du paysage pour le seul usage de la faune et pour la réoccupation par la flore endémique. Le respect de toutes les formes de vie est une éthique fondamentale, et en fait essentielle, pour tous les peuples.

***

Si ces extraits vous ont donné envie de lire l’ouvrage de Bill Mollison.
Sa version anglaise est disponible ci-dessous :

Mis en ligne par La vie re-belle
 14/04/2022
 https://lavierebelle.org/permaculture-et-design

 Documents

 bill_mollison_-_permaculture_a_designers_manual.pdf
PDF 

Permaculture au Rwanda

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