Vers une médecine intégrative ?

Une médecine intégrant savoirs traditionnels et savoirs contemporains est-elle possible ?

L’approche potentiellement prometteuse de la Pharmacologie inversée

Introduction

Qui s’intéresse aux médecines traditionnelles à base de plantes, reste généralement décontenancé à la fois devant la masse impressionnante d’études ethnobotaniques et phytopharmacologiques et devant le nombre inversement réduit de recherches permettant de répondre à des questions « simple » relatives au choix pertinent d’un traitement phytothérapeutique pour traiter telle maladie ou à l’efficacité médicinale de telle ou telle plante.

Motivées par les intérêts propres de l’industrie pharmaceutiques, les « études scientifiques » présentant les résultats des études phytochimiques et pharmacologiques de plantes, ne valident ou n’infirment généralement que de manière indirecte les usages traditionnels des plantes.

En effet, les protocoles de recherche et les études cliniques ne portent que très rarement sur les modes préparatoires traditionnels des plantes médicinales afin de déterminer les effets que les tradipraticiens et les patients leur prêtent.

Bien qu’un tel programme de recherche serait d’intérêt public, il est rarement mis en œuvre car s’il améliorerait de manière évidente la capacité des communautés à prendre en charge la santé de leurs membres, il priverait l’industrie pharmaceutique du monopole rémunérateur auquel elle prétend sur la distribution et la vente de médicaments.

Limites de l’approche « scientifique » conventionnelle

La recherche pharmacologique cherche à avant tout à identifier les molécules responsables de principes actifs des plantes afin de pouvoir les isoler et les utiliser pour fabriquer de nouveaux médicaments commercialisables.
Cette orientation de la recherche est doublement réductrice car,
d’une part, la constitution des plantes est toujours complexe et que leur potentiel thérapeutique ne se réduit pas à l’action d’une molécule particulière mais à la synergie de la variété des composés qui la constitue ;
d’autre part la physiologie animale et humaine est elle-même complexe et le schéma, une molécule active → une cible → un effet thérapeutique, est certainement lui-même simpliste.

Limites de l’approche « ethnobotanique »

L’ethnobotanique, se définit comme l’étude des relations entre les plantes et les humains. Cette discipline a produit un grand nombre d’études qui décrivent avec précision les pharmacopées et les pratiques médicinales locales. Mais cette approche ethnobotanique s’est rarement aventurée sur le terrain de l’évaluation de l’efficacité thérapeutique des pratiques et des préparations que les chercheurs observaient sur le terrain.

Une remarquable et atypique recherche dirigée par Bertrand Graz et Merlin Willcox menée en collaboration avec des tradipraticiens dans le sud du Mali sur les plantes utilisées pour traiter le paludisme a ainsi identifié 160 recettes de remèdes traditionnels préparés à partir de 66 plantes. L’étude rétrospective de l’efficacité des traitements suivis a montré qu’un grand nombre de ces préparations ne semblait pas changer grand chose au cours naturel de la maladie. L’analyse des traitements traditionnels pris isolément a par ailleurs montré que les plantes les plus fréquemment utilisées (Nauclea latifolia, Cochlospermum tinctorium et Securidaca longepedunculata) n’étaient pas celles dont l’administration était suivie du meilleur progrès des personne malades. Les analyses conduites en laboratoire ont toutefois montré que 8 plantes parmi les 66 utilisées, présentaient d’intéressants résultats cliniques en montrant une activité in vitro moyenne à élevée contre les cultures du parasite du paludisme – Plasmadium falciparum – résistant à la chloroquine. Parmi ces huit plantes, une s’est avérée induire 100% de guérison. Cette plante, Argemone mexicana n’était utilisée que marginalement dans deux ou trois villages seulement par 8 % de la population étudiée.

Cette enquête est présentée par l’un des chercheurs dans une émission de radio de la RTS (Radio Télévision Suisse).

S’il est indubitable que les médecines traditionnelles recèlent un trésor de savoir et d’expériences, l’usage traditionnel d’une plante n’implique donc pas pour autant qu’elle soit efficace, et la fréquence de son usage n’est pas non plus une gage suffisant de son efficacité, pas plus que le nombre d’articles qui lui est consacré et encore moins le nombre de proclamations sur internet de ses propriétés exceptionnelles.

L’étude dirigée par Bertrand Graz et Merlin Willcox montre quel pourrait être l’apport de recherches interdisciplinaires dans lesquelles collaborent tradipraticiens, ethnobotanistes, médecins, et pharmacologues. Elle a en l’occurrence permis d’aboutir à la formulation d’un « Médicament traditionnel amélioré » (MTA) reconnu par les autorités sanitaires maliennes qui porte le nom du guérisseur qui avait initialement transmis le mode préparatoire du remède traditionnel ».

Mais même si de telles recherches n’aboutissent pas à la fabrication de médicaments standardisés, le partage des résultats des recherches menées avec les communautés permet toujours d’accroître les connaissances fiables et transmissibles quant aux vertus et aux limites des préparations qu’elles utilisent.

Tiémoko Bengaly, tradipraticien malien dont le nom est associé au Médicament traditionnel Amélioré à base d’Argémone : "Soumafoura Tiémoko Bengaly"

Ce type de recherche qui part des pratiques usuelles des communautés et des ressources dont elles disposent prend le contre-pied des pratiques de recherches et développement de l’industrie pharmaceutique qui ne produit de médicament qu’au terme d’un long et très onéreux processus qui commence avec l’identification d’une substance active se poursuit avec avec des tests in silico, in vitro puis avec des essai sur modèle animal et enfin des études études cliniques.

Cette méthodologie rigoureuse n’aboutit in fine que très rarement à la création de médicament.

Le protocole de recherche appliqué par l’équipe de Bertrand Graz et Merlin Willcox qui part de la d’observation cliniques sur le terrain suit le modèle créé il y a une quinzaine d’années par des chercheurs indiens qui voulaient évaluer la validité des connaissances et expériences accumulées par la médecine ayurvédiques depuis au moins deux millénaires.

Cette nouvelle approche a été baptisée par ses inventeurs « reverse pharmacology » qui est traduit par en français par « pharmacologie inverse » ou « pharmacologie inversée ».

Les premières recherches à partir de ce nouveau paradigme furent menées pour identifier des médicaments susceptibles de traiter l’arthrite.

À la suite d’enquêtes nationales menées auprès de médecins ayurvédiques, Arvind Chopra du Centre pour les maladies rhumatismales de Pune, en Inde, et ses collègues ont dressé une courte liste plantes prometteuses pour l’arthrite et ont commencé des études d’observation en clinique parallèlement à des études pharmacologiques sur modèle animal. En août 2013, ils ont publié les résultats de leur essai contrôlé randomisé en double aveugle mené auprès de 440 patients montrant qu’une combinaison de quatre extraits de plantes était efficace, pour réduire la douleur et améliorer la fonctionnalité du genou.

D’autres recherches ont par la suite été menées en Inde à partir de la médecine ayurvédique traditionnelle sur la Maladie de Parkinson, l’hépatite, le paludisme, la ménorragie, les lésions précancéreuses...

D’autres recherches encore, ont été menées en Afrique sur l’hypertension et le diabète.

(Voir infra la bibliographie des recherches s’inspirant de l’approche de pharmacologie inversée)

Conclusion

L’approche dite de "pharmacologie inverse" est pour partie portée par le souhait de dépasser l’opposition entre médecines traditionnelles et médecine allopathique orthodoxe et de favoriser l’’essor d’une médecine intégrative associant le meilleur de l’expérience et des acquis de l’une et l’autre.

Espérons que ce projet ne restera pas utopique.

Recherche et développement conventionnels & Approche de pharmacologie inverse.
Source : “Drug Discovery and Ayurveda”

Quelques articles pour aller plus loin

« The Ethnobotanical Approach to Drug Discovery »
Scientific American, volume 270, issue 6 (1994), DOI : 10.1038/scientificamerican0694-82

Document pdf ci-dessous :

« Seeds of a cure »
Brendan Borrell,
Scientific American, June 2014

Document pdf ci-dessous :

« A “reverse pharmacology” approach for developing an anti-malarial phytomedicine »,
Merlin L Willcox, Bertrand Graz, Jacques Falquet, Chiaka Diakite, Sergio Giani, Drissa Diallo
Cox, Paul Alan ; Balick, Michael J.,
Malaria Journal 2011, 10(Suppl 1):S8

Document pdf ci-dessous :

« Reverse Pharmacology and Systems Approaches for Drug Discovery and Development »
Ashwinikumar A. Raut, Mukund S. Chorghade and Ashok D.B. Vaidya,
2008, Current. Science, vol. 4

Document pdf ci-dessous :

Bibliographie de quelques recherches s’inspirant de l’approche de pharmacologie inversée

Etudes indiennes

Arthrose du genou :

Raut, A.A., Sawant, N.S., Badre, A.S., Amonkar, A.J., Vaidya, A.D.B., 2007. Bhallataka (Semicarpus anacardium Linn)-A Review. Indian Journal of Traditional Knowledge Vol. 6 (4), 653-659.

Raut, A., Bichile, L., Chopra, A., Patwardhan, B., Vaidya, A., 2013. Comparative study of amrutbhallataka and glucosamine sulphate in osteoarthritis : Six months open label randomized controlled clinical trial. J. Ayurveda. Integr. Med. 4, 229-236.

Diabète :

Vaidya, A.B., 2007. Ayurvedic statistics. A novel epistemology based discipline. National Seminar on Evidence Based Ayurveda & CME on Biomedical Research Methods. MGIMS Sewagram, Maharashtra, India.

Hépatite :

Vaidya, A.B., Antarkar, D., Doshi, J., Bhatt, A., Vijaya, R., Vora, P., et al., 1996. Picrorhiza kurroa (Kutaki) Royle ex Benth as a hepatoprotective agent, experimental and clinical studies. J. Postgrad. Med 42 (4), 105-108.

Maladie de Parkinson :

Vaidya, A.B., Rajgopalan, T.G., Mankodi, N.A., Antarkar, D.S., Tathed, P.S., Purohit, A.V., et al., 1978. Treatment of Parkinson’s disease with the cowhage plant-Mukuna pruriens Bak. Neurol. India 26 (4), 171-176.

Paludisme :

Godse, C., 2004. An Exploration and Putative Interventional Effect of Nyctanthes Arbor-Tristis (Parijat) in Malaria : Clinical, Metabolic, Parasite and Immune Changes. University of Mumbai.

Godse, C.S., Nabar, N.S., Raut, A.A., Joshi, J.V., 2011. Reverse pharmacology for antimalarial plants goes global. J. Ayurveda Integr. Med. 2 (4), 163-164.

Ménorragie : Shringi, M., Galvankar, P., Vaidya, R.A., et al., 2000. Therapeutic profile of an Ayurvedic formulation Ashotone in Dysfunctional Uterine Bleeding (DUB). The Indian Practitioner 53, 193-198.

Lésions précancéreuses :

Joshi, J., Paradkar, P., Agashe, S., Vaidya, A.A., et al., 2011. Chemopreventive potential & safety profile of NBFR-03 (supercritical curcuma longa extract) in women with cervical low-grade squammous intraepithelial neoplasia in papanicolaou smears. Asian Pac. J. Cancer Prev. 12, 3305-3311.

Hastak, K., Lubri, N., Jakhi, S., More, C., John, A., Ghaisas, S., et al., 1997. Effect of turmeric oil and turmeric oleoresin on cytogenetic damage in patients suffering from oral submucous fibrosis. Cancer Lett. 116, 265-269.

Etudes africaines :

Hypertension :

Sidy M. Seck, Diop E. Assane, Bertrand Graz, Denis-Luc Ardiet, Falquet Jacques, Sherine Abboud, Lamin Gueye, Efficacy of kinkeliba and bissap in non-complicated hypertensive patients : A randomized controlled trial, European Journal of Integrative Medicine 7:22

Clinical efficacy of African traditional medicines in hypertension : A randomized controlled trial with Combretum micranthum and Hibiscus sabdariffa, Journal of Human Hypertension, https://doi.org/10.1038/s41371-017-0001-6

Sidy Mohamed Seck, Dominique Doupa, Diatou Guéye Dia, ElHadji Assane Diop, Denis-Luc Ardiet, Renata Campos Nogueira, Bertrand Graz, Boucar Diouf, Journal of Human Hypertension, https://doi.org/10.1038/s41371-017-0001-6

Diabète :

Jean-Pierre Kone, Etude de 5 plantes utilisées par les tradipraticiens de santé Bwa de la commune I du district de Bamako pour le traitement traditionnel du diabète, 2017, Thèse de Pharmacie, Faculté de pharmacie de Bamako.

Mis en ligne par La vie re-belle
 12/08/2019
 https://lavierebelle.org/vers-une-medecine-integrative

 Documents

 the_ethnobotanical_approach_to_drug_discovery.pdf
PDF 
 2014-seeds_of_a_cure-2.pdf
PDF 
 2011-a_reverse_pharmacology_approach-2.pdf
PDF 
 2008-reverse_pharmacology.pdf
PDF 

Soigner avec les plantes

Pratique de médecine populaire, fondée sur l’utilisation des ressources naturelles du milieu, et complémentaire de la médecine académique

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