Argemone mexicana et Malaria

Un exemple de coopération éthique entre médecine traditionnelle et recherche pharmacologique "moderne"

Argemone mexicana et Malaria

Mon attention pour l’Argémone du Mexique plante est née de la lecture de l’introduction du livre des Drs Bertrand Graz et Jacques Falquet intitulé Les 33 plantes validées scientifiquement, publié par les éditions Favre en 2016

L’ouvrage s’ouvre par l’anedocte suivante :

« C’est en Afrique, dans. le sud du Mali, que nous avons eu les premiers soupçons. Un ami malien rentré au pays après avoir fait son doctorat en Suisse nous avait proposé de d’étudier avec lui les médecines traditionnelles du Sahel.

Occasion à ne pas manquer ! Départ dans la brousse avec des étudiants et des professeurs de l’université de Bamako. Nous menons un enquête dite des « itinéraires thérapeutiques ». Les enquêteurs vont de maisons en maisons et demande si un enfant a été malade récemment, quel traitement il a reçu et surtout s’il a guérit. Nous centrons nos question sur le paludisme. En tout 952 ménages répondent, 160 recettes de remèdes traditionnels sont détaillées, 66 plantes sont identifiées. Un grand nombre de remèdes locaux semblent ne pas changer grand chose au cours naturel de la maladie, mais une plante sort du lot : tous ceux qui l’ont reçue ont rapidement guéri.

Cette plante contre le paludisme, nommée Argemone mexicana par les botanistes à cause de son origine mexicaine, est citée dans la bible de la médecine aztèque, le Codex Badamius de 1492 comme traitement contre les hernies, mais pas contre les fièvres. Elle est aujourd’hui très répandue sous les tropiques, peut être parce que ses graines ont voyagé comme contaminant des semences du maïs. Quelques années plus tard et après des recherches au Mali, au département de pharmacognosie et phytochimie de Genève, l’Institut de tropical suissse à Bâle, les effets d’Argemone mexicana sont confirmés, les résultats ont été restitués dans les villages du Mali. Une nouvelle enquête dix ans plus tard montrera que l’usage de la plante s’est beaucoup répandu et que le taux de guérison pour les gens du coin est de 100%.

De cette aventure nous retenons trois enseignements au moins :

Les médecines traditionnelles recèlent des trésors d’efficacité thérapeutiques.
Ces trésors sont cachés au milieu d’une nuée de traitements moins efficaces.
Les usagers ne semblent pas eux-mêmes faire le tri entre les moins bonnes et les meilleures recettes.

Cette dernière constatation nous a plongé dans un abîme de perplexité. Pourquoi ces 66 plantes si 65 sont médiocres et 1 bien meilleure ? Pourquoi les gens continuerait-ils à utiliser une plante médicinale peu efficace si une autre, également disponible, est bien préférable ?

De retour en Europe, nous avons constaté le même phénomène. Pour chaque maladie courante on utilise un grand nombre de plantes. Sont-elles équivalentes ou, comme pour l’argémone au Mali, l’une d’elle est supérieure mais on ne s’en rend pas compte ? Et pourquoi ne s’en rend-on pas compte ? Comment améliorer notre art du choix du bon traitement ?

Notes sur les auteurs de l’ouvrage :
Jacques Falquet est docteur en biochimie de l’université de Genève. Après une spécialisation en biologie moléculaire des végétaux à l’université de Paris-XI, il rejoint le monde associatif et travaille en indépendant. Passionné par les plantes, il en étudie particulièrement les propriétés médicinales et participe à de nombreuses missions de recherche en pays tropicaux (Haïti, Mauritanie, Mali, Bénin, Sud-Soudan, etc.). Son domaine de prédilection est l’autonomie locale en matière de santé : persuadé qu’il est souvent possible de trouver à portée de main de quoi traiter la plupart de nos problèmes de santé, il s’attache à le démontrer avec un maximum de rigueur scientifique.
Bertrand Graz, d’abord médecin généraliste, est chercheur et enseignant en santé publique/santé internationale aux Universités de Lausanne et Genève. Il collabore aussi avec l’association "Antenna Technologies". avec laquelle il a étudié les effets de médecines aussi différentes que la médecine traditionnelle gréco-arabe, les plantes médicinales européennes ou des recettes traditionnelles africaines contre le paludisme.

Argemone mexicana et paludisme

L’histoire de la découverte, de la recherche menée, et de la reconnaissance de cette plante comme comme antipaludique majeur, puis source d’un Médicament Traditionnel Amélioré illustre quel pourrait être la richesse d’une collaboration entre médecine traditionnelle et recherche moderne. Elle témoigne d’une éthique rare mais donc possible et à encourager.

Avant de narrer cette histoire, présentons la belle Argémone mexicaine

Description de la plante

Argemone-mexicana est une plante de la famille des Papaveracées. Au Mali elle est appelée « Bozobo » ou « Gninnidiè ». En Swahili elle est appelée « Mtunguja bonde ». À notre connaissance elle n’a pas de nom kinyarwanda ou kirundi spécifique.

En français elle est dotée de différents noms : Argémone, pavot épineux, pavot du Mexique, Tache de l’œil, Chardon du pays, Chardon bénit des Américains, Figue du diable, Infernale.

En anglais on l’appelle Mexican poppy, prickly poppy, yellow thistle, Mexican thistle.

Originaire du Mexique et des Antilles, mais l’argémone est devenue pantropicale suite à son introduction accidentelle ou comme plante ornementale. Elle s’est naturalisé dans la plupart des pays africains, depuis le Cap-Vert jusqu’en Somalie et en Afrique du Sud.

Aire de naturalisation d’Argemone mexicana en Afrique

Argemone mexicana pousse facilement dans des sols arides riches en nitrates et ne nécessite aucune terre arable, aucun engrais et ne fait pas concurrence aux cultures vivrières. Elle est principalement présente dans des régions à saison sèche marquée, sur les terrains vagues ouverts, le long des routes et des chemins, et comme adventice dans les champs, la plupart du temps au niveau de la mer, mais parfois jusqu’à 3000 m d’altitude.

La plante est facile à identifier et ne ressemble à aucune autre. Si ses feuilles font penser à un chardon, ses fleurs elles sont typiques des autres variétés de pavots.

L’argémone peut atteindre un mètre de haut. Elle possède une solide racine pivotante.

Ses tiges à aiguillons épars sont rameuses épaisses généralement hautes de 0.35 m à 0.40 m. La plante contient un latex jaune vif qui épaissit à l’air.

Ses feuilles alternes, larges, semi-amplexicaules, déchiquetées sont épineuses.

Ses grandes fleurs sont jaunes leur calice a deux ou trois sépales. La corolle a quatre ou cinq pétales arrondis.

Les étamines hypogynes sont nombreuses. Le pistil a un style très-court. Le petit stigmate est rayonnant.

Le fruit est une capsule ovoïde, épineuse, s’ouvrant au sommet en cinq valves incomplètes.

Les graines sont petites, rondes et noire.

Sous les tropiques, Argemone mexicana fleurit et fructifie toute l’année. Les fleurs s’ouvrent tôt le matin, et durent de 2–3 jours. La plante est avant tout autogame. La plupart des graines tombent à la base de la plante mère, où elles forment parfois un tapis de semis. La graine légère peut être dispersée par le vent et l’eau, et elle est connue pour la rapidité avec laquelle elle se propage dans les systèmes d’irrigation. La dispersion a lieu aussi par adhésion de terre aux outils agricoles, ainsi que par l’homme et le bétail. Les graines peuvent rester dormantes pendant de nombreuses années.

Usages traditionnels de la plante :

C.H. Bosch, auteur de l’article de la base de données PROTA consacré à Argemone mexicana écrit :

« Principales utilisations traditionnelles :

Les feuilles sont traditionnellement utilisées dans les entéralgies, douleurs
musculaires, la gonorrhée, constipation, mauvais fonctionnement hépatique et jaune,
paludisme simple, toux, inflammation. Les tiges utilisées en infusion comme
diurétique.

Les racines sont utilisées en infusion comme stimulant et antihelminthique, en décoction contre le mal de dent, la douleur des yeux, l’écoulement urétral, en macération dans les blennorragies, troubles hépatobiliaires, fièvres bilieuses hématurique. Le suc est utilisé comme sédatif, antiémétique, dans les otites, les affections oculaires. Les graines infusées étaient utilisées comme diurétiques purgatifs.

L’huile est utilisée dans les constipations, Les insomnies, les infections cutanées et des plaies.

La partie aérienne de la plante est utilisée en décoction comme diurétique, purgative, diaphorétique, dans les maladies oculaires, les eczémas, etc.

Le latex et les graines sont toxiques et peuvent causer des hémorragies intestinales et entraîner la mort. Il faut utiliser les organes séchés et sans les graines. »

Activités biologiques et pharmacologiques :

Différentes activités pharmacologiques ont été attribuées aux différents organes de la plante :

La plante entière est réputée hypotenseur, narcotique, diaphorétique, diurétique.

Les feuilles et la tige ont également des propriétés antibactérienne, antivirale,
hypotensive, spasmodique et stimulante. Les feuilles sont laxatives, antiinflammatoires pour les yeux, cicatrisantes pour les ulcères mais également
embryotoxique.

La tige a des propriétés anticoagulantes.

L’extrait de ses capsules constitue un excellent hypnotique et antitussif.

Le latex a des propriétés anticoagulantes.

Les racines antiblenoragiques, stimulantes voir excitantes.

Les graines, toxiques pour les animaux mais aussi pour l’Homme, sont utilisées à doses thérapeutiques pour leurs propriétés diurétiques et purgatives.

Un Antipaludéen efficace ?

Dans la base de données Prélude l’usage médicinal traditionnel est répertorié en Afrique de l’Ouest : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Sénégal, Nigéria, Ghana, Togo, Guinée, Mali ; en Afrique de l’Est : Ouganda, Tanzanie, Ethiopie ; En Afrique septentrionale : Angola, Afrique du Sud ; dans les îles de l’Océan indien : Rodrigues Madagascar ; Maurice, Réunion

L’usage antipaludique de la plante n’est identifié qu’au Mali, où la plante est appelée « bozobo » ou « gninnidiè » en Bambara.

Pour traiter le paludisme simple les traditipraticiens maliens conseillent diverses préparations :

- La décoction de feuilles d’Argemone mexicana prise par voie orale et en bain corporel.

- La décoction de racine prise en bain et en voie orale pendant 7 jours (guérisseur du village de Finkolo).

- La décoction de racines de Oxytenanthera abyssinica et de Nauclea latifolia et de la partie aérienne d’Argemone mexicana, en bain et voie orale pendant 7 à 15 jours (guérisseur du village de Missidougou). 

- La décoction de feuilles de Carica papaya et d’Argemone mexicana, bain prise en bain et en voie orale pendant plus de 10 jours (guérisseurs du village de Hèrèmakono).

Pour le paludisme grave :

- La décoction de feuilles et racines de Nauclea latifolia et d’Oxytenanthera abyssinica plus la partie aérienne d’Argemone mexicana, prise en bain et en voie orale pendant 3 à 7 jours (guérisseurs de Missidougou).

Tiémoko Bengaly, tradipraticien malien dont le nom est associé au Médicament traditionnel Amélioré à base d’Argémone : "Soumafoura Tiémoko Bengaly"

Nous avons vu en introduction de cet article qu’une enquête associant thérapeutes traditionnels, des médecins, des pharmaciens et des botanistes, avait permis initialement d’identifier le fort taux de guérison du paludisme obtenu parmi 952 ménages malien après utilisation de préparation à base d’Argemone mexicana .

Dans le cadre de cette recherche, études précliniques et cliniques ont permis de démontrer l’efficacité et l’innocuité du décocté de feuilles Argemone mexicana dans la prise en charge du paludisme simple.

Pour valider l’efficacité observée sur le terrain de cette plante, une étude clinique randomisée a été menée pendant laquelle le traitement à l’Argémone été comparé au traitement classique à base d’artémésinine, le CTA (Combinaisons thérapeutiques à base d’artémésinine) recommandé par l’OMS.

Cette étude a montré que la potion à base de feuilles d’Argémone mexicana pouvait être recommandée parce qu’elle offrait une efficacité de traitement réelle, comparable à celle des meilleurs médicaments, sans présenter par ailleurs de risque médical, social ou environnemental.

L’existence depuis 2007 du « Soumafoura Tiémoko, Bengaly », un Médicament Traditionnel Amélioré (MTA) témoigne aujourd’hui de l’aboutissement de six ans de recherches. »
[https://www.antenna.ch/fr/activites/medecines/argemone-mexicaine/]

Le phytomédicament « Soumafoura Tiémoko, Bengaly » se décline sous deux formes :

- en sachet de 30 g poudre de feuille d’Argemone mexicana à faire bouillir dans 500 ml d’eau pendant 30mn.

- en sirop mis au point avec le décocté concentré et la phase aqueuse de l’extrait hydroéthanolique respectivement à 20% et à 10%.

Département de médecine traditionnelle de l’Institut National de Recherche de la Santé Publique de Bamako au Mali

La série d’études qui a ponctué le processus qui a abouti à la création du Médicament Traditionnel Amélioré "Soumafoura Tiemogo Bengaly" est présentée sur le site La Vie Re-Belle dans l’article : "Argemone mexicana et Malaria : Revue des recherches".

L’approche innovante dite de "pharmacologie inverse" qui a permis d’aboutir à la création de ce phytomédicament est décrite dans l’article "

"Vers une médecine intégrant savoirs traditionnels et savoirs contemporains ? Pharmacologie inverse une approche prometteuse"

Mis en ligne par La vie re-belle
 10/08/2019
 https://lavierebelle.org/argemone-mexicana-et-malaria

 Documents

 2011-a_reverse_pharmacology_approach.pdf
PDF 
 2011-is_parasite_clearance_clinically_important_after_ma (...)
PDF 
 2011-hunters_tropical_medicine.pdf
PDF 
 2012-improved_traditional_medicines_in_mali.pdf
PDF 

Prévenir et guérir la malaria

L’expérience historique de certaines médecines traditionnelles notamment chinoise et africaine notamment d’une part, des recherches phytopharmacologiques et des études cliniques récentes d’autre part montrent qu’il serait possible de prévenir et de guérir la malaria à l’aide de certaines plantes de la famille des Artemisia.

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